
Dre Thema Bryant, autrice de Homecoming et présidente élue de l’American Psychological Association, discute de votre vocation, de l’art de l’écoute et de la montée de la voix des femmes.

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Aja vous invite à répondre à certaines des questions que nous posons à nos invité.e.s du balado The Sound Bath : des questions qui nous transforment et nous révèlent.
En soumettant votre message vocal, vous nous autorisez à utiliser l’enregistrement dans les prochains épisodes de The Sound Bath.
Transcription
- [Narratrice] Et une dernière chose que je dois vous dire à propos de cette femme, elle était enceinte. Enceinte, enceinte, enceinte. Elle était enceinte de diplômes universitaires qu’elle n’avait pas obtenus. Elle était enceinte d’entreprises qu’elle n’avait pas démarrées, elle était enceinte d’enfants qui n’étaient pas encore nés. Elle était enceinte de chansons qui n’avaient pas encore été écrites et de mouvements qu’elle n’avait pas encore dansés. Cette femme.
- [Aja Monet] Bonjour, bienvenue à The Sound Bath. Mon nom est Aja Monet. Il s’agit d’un balado qui vous est présenté par Lush Cosmétiques. J’ai vraiment hâte à l’épisode d’aujourd’hui avec Dre Thema Bryant-Davis. Thema Bryant-Davis, alias Dre Thema, est une psychologue diplômée, une pasteure ordonnée et une artiste sacrée. En utilisant l’expression artistique, la spiritualité, la psychologie et la culture, Dre Bryant-Davis donne des conférences, se produit et prêche au niveau international. Elle a passé de nombreuses années à travailler avec des groupes de femmes et des survivantes de traumatismes, encourageant la plénitude émotionnelle. Elle est également présidente élue de l’American Psychological Association. En 2020, la division internationale de l’APA l’a honorée pour ses contributions internationales à l’étude du genre et des femmes pour son travail en Afrique et dans la diaspora africaine. Dre Thema anime également un balado. Son émission magnifique et stimulante, The Homecoming Podcast, offre chaque semaine à ses auditeur.ice.s une source d’inspiration et des conseils sur la santé mentale. Nous vivons une époque confuse et difficile, et Dre Thema a pour objectif de nous guider en encourageant l’amour, la guérison, l’acceptation, la compassion et la créativité. Je suis très heureuse de cette conversation avec Dre Thema. Tout d’abord, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Dre Thema, comment te sens-tu aujourd’hui? Quelle émotion t’habite?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Merci beaucoup de m’avoir invitée, pour la personne que tu es et le travail que tu fais. Je suis heureuse de cette conversation. Je me sens en pleine forme aujourd’hui. Je me sens reconnaissante.
- [Aja Monet] C’est merveilleux. Oui, merci. Je pense qu’il y a toujours des espaces, des endroits et des façons de décrire notre propre façon d’être dans le monde, comment nous nous voyons et ce que nous faisons. J’aimerais donc que tu partages avec nos auditeur.ice.s ce que tu fais, qui tu es et la façon dont tu t’identifies.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Je dirais que le thème principal de mon travail est la guérison, et je facilite la guérison de plusieurs façons. D’abord, je suis psychologue diplômée et j’ai un cabinet privé à Los Angeles, où je travaille principalement avec des survivant.e.s de traumatismes, des victimes de violence et d’oppression. Je suis également professeure à l’université de Pepperdine, où j’enseigne à nos étudiant.e.s de cycle supérieur qui étudient pour devenir thérapeutes et psychologues. Dans le cadre de ce rôle, j’effectue des recherches sur l’intersection de la culture et du traumatisme. C’est-à-dire comment nos identités culturelles façonnent à la fois notre risque de traumatisme et la manière dont nous guérissons. Je suis également pasteure, je suis donc une ancienne ordonnée dans l’Église épiscopale méthodiste africaine. Et ici à Los Angeles, je dirige un ministère de la santé mentale. Je considère donc les choses de manière holistique : l’esprit, le corps, le cœur, l’âme et la communauté.
- [Aja Monet] Merveilleux. Ma première question porte sur l’appel. Comment apprend-on à entendre l’appel et à être appelé.e? Comment apprend-on à écouter profondément? Je pense que dans ce balado, nous parlons beaucoup de l’écoute active et engagée. Il est possible d’entendre les gens sans vraiment les écouter. Je pense donc qu’on peut apprendre à écouter les autres, mais je pense que la première écoute, et l’une des plus difficiles est d’apprendre à s’écouter soi-même. Et comme tu as été appelée à être pasteure, puisque tu fais ce travail, avec la thérapie, la guérison et en tant qu’artiste sacrée, comment as-tu entendu l’appel pour la première fois, et quels moyens ou quelles leçons as-tu appris qui pourraient être utiles à celleux qui écoutent pour mieux entendre leur propre appel?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui, bonne question. Je pense que l’écoute de l’appel est une question de vivacité. Il faut savoir quand on est silencieux.euse, quand on s’ennuie, quand on est renfermé.e, et ce qu’on fait quand on se sent libre, épanoui.e, vivant.e, ces moments où on sent à la bonne place. Ce ne sera pas toujours facile. Par exemple, je ne suis pas naturellement douée en mathématiques, donc pour obtenir mon doctorat en psychologie, les statistiques n’ont pas été faciles, même si la psychologique est ma vocation. Il est normal que ce ne soit pas toujours facile, mais la tâche doit être alignée avec votre moi authentique, et différentes expériences peuvent le confirmer, vous le rappeler ou vous le révéler. En ce qui concerne la psychologie, je dirais qu’en grandissant, j’étais la fille d’un pasteur, et les gens appelaient souvent chez nous en cas de détresse. Même si je suis la plus jeune de mes deux frères et sœurs, si quelqu’un appelait en larmes et que mes parents n’étaient pas à la maison, mon frère me passait immédiatement le téléphone. J’ai donc toujours été à l’écoute. Enfant, on me qualifiait de sensible. Je ressens les choses profondément. Je ne suis pas du genre à argumenter et à débattre, je suis plutôt guidée par le cœur. Ainsi, bien que j’aie appris le métier, je suis née guérisseuse. Soyez à l’écoute de la façon dont vous vous êtes manifesté sur la planète, pas de vos traumatismes ou de votre stress, pas des mensonges que la société peut vous dire, mais de ce que vous faites quand vous vous sentez le plus vous-même, le plus connecté à vous-même. En ce qui a trait au métier de pasteure, et cela peut être une leçon pour nos auditeur.ice.s, il y avait deux obstacles majeurs à mon acceptation de l’appel. D’abord, en grandissant, ce que mes parents ont vraiment promu, c’est l’idée que si tu veux être pasteure et prendre ce rôle au sérieux, tu dois t’y consacrer à temps plein. J’ai donc grandi avec un modèle de personnes qui étaient pasteur.e.s à plein temps, et je savais dans mon cœur que je devais être psychologue. Alors quand j’ai commencé à ressentir cette attirance pour le métier de pasteure, je me suis d’abord dit que je ne pouvais pas faire ça, car je devrais abandonner mon autre rôle. J’ai un message pour les personnes qui ont plusieurs dons ou plusieurs appels. Certaines personnes vont essayer de vous convaincre que vous devez choisir, mais vous pouvez être tout ce que vous aimez. Ce n’est pas un affront à aucun aspect de votre personne, cela signifie seulement que vous pouvez avoir de multiples dons et appels. Ensuite, la deuxième chose qui a été un obstacle pour moi, c’est que je pensais que pour être pasteure, je devais dire que j’approuvais tous les textes sacrés, ce qui était un problème pour moi. Certains éléments des textes soulèvent des questions. Un des moments libérateurs fut lorsque j’ai entendu ma tante, la révérende Dre Renita Weems, une théologienne féministe, s’arrêter au milieu d’un sermon et dire « Ceci est un texte suspect ». J’étais étonnée. Elle a commencé à demander qui avait écrit cette histoire. Vous savez, les femmes dans cette histoire étaient vraiment en marge de la société. Cela m’a fait découvrir que l’on peut s’interroger tout en étant pasteure. J’ai dit oui aux deux.
- [Aja Monet] Oui, c’est vraiment poignant, car beaucoup de gens l’ignorent, mais je pense que toutes les grandes personnes et grandes choses ont commencé, à tout le moins au sein de la communauté noire, avec l’Église.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui.
- [Aja Monet] Mais j’ai commencé dans l’Église, c’est vraiment là que j’ai tant appris sur le pouvoir de la parole et la volonté du peuple. Vous savez, le courage de la foi et de la justice, la dévotion à la vérité et à la bonté, et le sentiment qu’il y avait quelque chose de plus grand que nous.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui.
- [Aja Monet] C’était donc intéressant de t’entendre parler de questionnement, parce que pendant si longtemps, je croyais que je serais pasteure ou que je partirais voyager et que je ferais quelque chose qui changerait, révolutionnerait le ministère, révolutionnerait l’Église.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui
- [Aja Monet] Tu avais cette idée que je trouvais si dépassée, la façon dont parle et aborde le texte, etc. Et puis j’ai découvert tant de choses sur d’autres croyances et d’autres religions, et j’étais si bien-pensante, si convaincue dans le christianisme et cette idée.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui
- [Aja Monet] Je suis allée au Sarah Lawrence College comme étudiante en premier cycle, une école d’art libéral. La façon dont iels abordaient la théologie, la foi, avec ce genre de soins critiques.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Je comprends.
- [Aja Monet] Le sentiment que l’attention est ancrée dans une optique et une analyse critiques, qu’il ne s’agit pas seulement de se sentir affirmé.e et aligné.e tout le temps. Parfois, cette tension ou cette lutte peut être une partie importante de l’apprentissage de la prise en charge, de l’engagement profond dans ce qui vous tient à cœur. Je voulais donc vous demander : quelles sont les autres croyances ou pratiques qui ont peut-être approfondi ta relation avec ton travail? À quoi ressemble la solidarité dans une sorte de pratique interconfessionnelle dans le monde? Comment cela se manifeste-t-il maintenant plus que jamais? Dans quelle mesure penses-tu que cela soit nécessaire pour notre guérison?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui, je crois fermement en nos liens avec les communautés interconfessionnelles, et cela a été une partie tellement enrichissante de mon parcours, et je dirais même une partie nécessaire de mon parcours en tant que psychologue. Lorsque nous effectuons le travail de guérison, je pense que souvent, lorsque les gens entendent parler de l’importance de prêter attention à la culture, iels pensent d’abord à la race et au genre, peut-être à la sexualité, peut-être au statut économique. Mais souvent, les gens oublient de tenir compte de la démarche spirituelle ou religieuse d’une personne qui, pour beaucoup, fait partie intégrante de la façon dont iels perçoivent le monde et dont iels vivent la santé mentale, la maladie mentale et la façon dont iels abordent leur guérison. Il est intéressant de noter que de nombreux psychologues ont mené des recherches qui montrent que les professionnel.le.s de la santé mentale sont en moyenne moins religieux que le grand public. Donc, cela signifie souvent que les personnes croyantes s’adressent à des personnes qui ne sont pas croyantes pour leur guérison. Donc, toutes sortes de ruptures et de malentendus se produisent. Cela a donc été une belle partie de mon parcours afin d’apprendre les chevauchements ainsi que les expressions uniques de la spiritualité et de la foi. L’un des éléments centraux pour moi a été la pratique contemplative, et en grandissant, je dirais que ma mère, qui est aussi dans le ministère, est une personne mystique, et vraiment, tout en étant une enseignante et une ministre très puissante, elle est aussi une personne qui aime vraiment le silence et son caractère sacré. Il a été incroyable dans nos traditions d’entrer dans la façon dont les gens font l’expérience de cette immobilité, de ce silence, de cette conscience sacrée de ce moment présent. Je pense que ce qui crée souvent la difficulté dans la relation est la communication. Les gens appellent cela différemment. Par exemple, la pleine conscience est une intervention ou une approche populaire aujourd’hui, mais parfois, si vous dites à un.e chrétien.ne de se taire, de s’ouvrir et de lâcher prise, certain.e.s répondront : « À quoi dois-je m’ouvrir? » Par contre, si je leur disais de rester tranquilles dans la présence de Dieu et de se mettre à la disposition du Saint-Esprit, iels seraient capables de le faire. Ce type de langage résonne mieux avec certaines personnes.
- [Aja Monet] Le pouvoir de la parole est très grand.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui.
- [Aja Monet] C’est donc quelque chose que j’ai vraiment dû affronter, prendre au sérieux et apprendre. En t’écoutant, je constate qu’il y a tellement de pouvoir dans la parole et dans la façon dont tu communiques. Quel rôle la parole et la voix jouent-elles dans notre guérison? Dans ce balado, il s’agit du pouvoir des conversations qui font du bien, et ce que j’ai appris en thérapie, c’est que dans ces conversations, les choses peuvent être vraiment transformées et nous pouvons arriver à des réalisations vraiment puissantes sur nous-mêmes. Lorsque j’étais enfant, à l’église, une aînée couvrait mes oreilles avec ses mains et priait sur mes oreilles et elle disait « Cette enfant a entendu des choses qu’elle n’aurait pas dû entendre. » Je me souviens que j’ai commencé à pleurer et qu’elle a commencé à me parler. J’en ai encore des frissons et des larmes quand j’y pense, mais il y avait quelque chose dans le fait de l’entendre prononcer ces paroles qui a changé toute mon orientation envers le monde. Je veux dire, ça a vraiment changé le cours de ma vie. Quel rôle la parole, le langage et les mots jouent-ils dans notre guérison?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Tout d’abord, j’adore l’histoire de la proclamation, de la vérité et de la bénédiction en ce qui concerne ce que nous entendons et ce que nous n’aurions pas dû entendre. En thérapie, surtout avec les survivant.e.s de traumatismes, je tente de briser le silence pour briser la honte. Briser le silence, briser la honte parce qu’il y a tant de nos expériences que nous gardons secrètes, que nous hésitons à partager, à divulguer, à discuter, parce que nous nous sentons gêné.e.s ou humilié.e.s ou parce que nous blâmons les victimes ou parce que nous sommes stigmatisé.e.s. C’est en racontant que l’on guérit, car je découvre, surtout lorsque je suis en présence d’un.e auditeur.ice compatissant.e, qu’iel ne change pas d’avis à mon sujet lorsque que je lui parle de mes secrets les plus profonds et les plus sombres. C’est comme faire face à notre plus grande peur du genre, et si vous saviez ça sur moi? M’aimerez-vous toujours? La réponse est oui. Je tiens toujours à toi. Je t’apprécie toujours. Je t’honore toujours, je te respecte toujours, et donc en thérapie, l’une des approches s’appelle la thérapie narrative. Avec la thérapie narrative, il ne s’agit pas seulement de raconter mon histoire, mais la façon dont je la raconte. Parce que certain.e.s d’entre nous se concentrent sur d’autres personnes, comme si tout le monde était un personnage principal de leur histoire, et qu’iels étaient en marge de leur propre histoire. Nous sommes constamment en train de se concentrer sur ce qu’une autre personne nous a dit ou nous a fait. Nous n’avons pas de voix. Le fait de réécrire mon histoire, de la raconter à nouveau me guérit et me donne du pouvoir, et m’aide aussi à changer les distorsions et les mensonges que j’ai ressentis à mon sujet. L’entendre et le dire est vraiment puissant, et l’une des façons de dire l’indicible, c’est par les arts. Ainsi, les traumatismes et les moments difficiles peuvent être complexes à exprimer par des mots. Parfois les gens parlent tout en étant émotionnellement déconnecté.e.s. Si je peux le communiquer par la poésie, la musique, la danse, les collages, la fabrication de perles, la cuisine, la coiffure et le style, si je peux le dire dans mon art, alors cela brise aussi cette honte.
- [Aja Monet] Bonjour, je m’appelle Aja Monet, et vous écoutez The Sound Bath présenté par Lush Cosmétiques. Je suis actuellement en conversation avec Dre Thema Bryant-Davis, alias Dre Thema. Elle est psychologue agréée, ministre ordonnée et artiste sacrée. La meilleure façon de la connaître est de suivre son balado The Homecoming. Dans une minute, je vous parlerai plus en détail de ses prédications et de la façon dont elle puise dans sa puissance supérieure. D’abord, j’aimerais savoir : de quelle façon crois-tu que nous pourrions apprendre de l’acte et de l’art d’écouter?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Il est donc vraiment important pour nous d’avoir des espaces pour entendre et écouter. Ce que je dirais à nos auditeur.ice.s, c’est de commencer à poser des questions plus profondes et de ralentir pour communiquer aux gens que nous cherchons une vraie réponse. Nous sommes tellement habitué.e.s de demander « Comment ça va? Bien, j’espère? » Ou les gens dans l’Église disent « Comment
allez-vous? Bienheureux.euse j’imagine? » Le gens n’écoutent pas vraiment. Je peux ralentir et demander « Comment tiens-tu le coup? Comment a été cette saison pour toi? Qu’est-ce qui te manque ces jours-ci? » Donc poser des questions, communiquer que vous voulez vraiment savoir et être prêt.e à partager. La transparence est contagieuse. Souvent, si vous avez une personne dans votre cercle d’ami.e.s qui est prête à être plus honnête et à partager ses états d’âme, alors cela peut donner aux autres personnes la permission d’être plus honnête.
- [Aja Monet] Ouais. C’est vraiment puissant parce que je pense à l’idée de donner la permission de dire la vérité. C’est aussi difficile quand les gens sont fermés et qu’iels ont tellement l’habitude de l’être qu’iels ne savent pas poser les bonnes questions. De plus, une personne n’est peut-être pas prête de recevoir ces questions ou ne sait pas comment y répondre. Certain.e.s d’entre nous se sont construit.e.s une coquille si rigide qu’iels trouvent un moyen de contourner même les questions les plus profondes. Cela m’amène à ma prochaine question. Parfois, on a l’impression que nous sommes tou.te.s forcé.e.s à être dans la roue de la productivité et que la société ne nous permet pas de vivre, ou que des personnes n’ont pas accès au matériel et aux besoins de base. Notre vie de base n’est pas couverte, le logement et la nourriture de qualité, l’éducation, les soins de santé, etc. Selon toi, quel rôle la thérapie joue-t-elle pour nous libérer de cette roue plutôt que d’oublier nos besoins ou nos sentiments? Je pense que selon la société, les problèmes et les maux auxquels les gens sont confrontés sont uniquement émotionnels, psychologiques et spirituels, et qu’iels sont seul.e.s dans cette situation et qu’iels doivent guérir sans soutien. Que si je vais en thérapie, que je me remets les idées en place, que je prends ces pilules et que je fais ce truc, tout ira bien. Je fais cette retraite, je fais cette méditation et tout ira bien, sans avoir à rendre de comptes à un système plus large et à la politique en jeu.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui.
- [Aja Monet] Je voulais donc savoir ce que tu as observé ou ce que tu penses du rôle que la thérapie peut jouer, ou joue, pour nous libérer de cette roue, de ce système de pensée?
- [Dre Thema Bryant-Davis] J’adore cette question, et elle s’applique à mon travail. Il y a des approches particulières de la thérapie qui nous demandent de regarder au-delà de l’individu. Ainsi, la thérapie féministe, qui est issue de la psychologie des femmes noires, la psychologie mujerista, la psychologie noire, la psychologie de la libération, qui vient d’Amérique latine, et toutes ces approches peuvent être considérées comme des psychologies décolonisatrices, ou certaines personnes les appellent des psychologies indigénisatrices, des psychothérapies orientées vers la justice sociale. Et donc, ce que chacune d’entre elles a en commun, c’est la prise de conscience. Pas seulement ma propre conscience, mais la compréhension des systèmes dans lesquels j’ai été socialisé.e, qui m’ont enseigné.e et traité.e d’une manière particulière. Il est donc très important de ne pas supposer que ma vie est uniquement la manifestation de mes pensées. Je sais que c’est très séduisant de croire que la pensée positive va tout arranger, comme dans Le secret, que si les choses ne fonctionnement pas, c’est que vous n’êtes pas assez affirmatif.ive ou que nous n’avez pas assez de foi. Il en va de notre survie et de notre épanouissement de reconnaître les répercussions de l’oppression systémique, non seulement dans le passé, mais aussi dans le présent, et ensuite de se donner les moyens de réagir de différentes manières. La psychologie traditionnelle ou occidentale s’arrête souvent à la question de l’adaptation. Quelles sont les stratégies d’adaptation? Vous savez, respirer, apprendre à se calmer, ce genre de choses. Mais les psychothérapies orientées vers la justice sociale vont au niveau suivant, qui est dans l’immédiat et qui aborde la résistance. Quels sont les moyens de résister à ces systèmes qui tentent de vous invalider, qui bloquent vous, votre famille et votre communauté? L’autonomisation et l’autodéfinition sont donc des aspects importants du processus thérapeutique. Nous pouvons résister en nous organisant, nous pouvons résister par notre art. Nous pouvons résister en nous présentant aux élections, en plaidant pour une politique et nous savons, grâce à l’adorable Nat Bishop, que nous pouvons aussi résister avec notre repos, notre joie et notre amour. C’est donc une partie importante du processus thérapeutique pour les personnes marginalisées et pour réclamer ou revendiquer pour la première fois la vérité de notre identité.
- [Aja Monet] J’adore. Je pourrais te parler éternellement. Oui, je pense que ma prochaine question portera sur le rôle que jouent les médias sociaux, une question importante que nous nous posons dans ce balado, et sur les limites des médias sociaux, mais aussi à propos de leur répercussion sur notre santé mentale. J’ai découvert ton travail en te suivant en ligne pendant des années et en observant les effets positifs de la façon dont tu utiliseras et présenteras tes idées sur les médias sociaux. Je me demande quelle est notre responsabilité envers les autres en présence et dans le temps, en temps réel dans notre guérison? Quel est le pouvoir des médias sociaux dans nos pratiques de guérison, mais aussi quelles en sont les limites réelles et quelles sont les pratiques que vous avez trouvées utiles dans votre interaction avec les médias sociaux?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Oui. Les médias sociaux sont un outil, et cela dépend de la façon dont nous utilisons l’outil et de qui l’utilise, et le bénéfice peut être une éducation à grande échelle. Donc si vous diffusez des messages sur ce qu’est la dépression, comment y faire face ou comment reconnaître les relations malsaines, je pourrais les inclure dans un livre d’aide personnelle et il y a un certain nombre de personnes qui achètent ce genre de livres, et j’en suis heureuse, j’en ai un. Par contre, il y a des gens qui ne vont pas y accéder de cette façon, mais si vous diffusez ces messages quotidiennement ou hebdomadairement, les gens les lisent, les reçoivent. Tu sais, j’ai souvent des client.e.s qui viennent me poser des questions sur quelque chose qu’iels ont lu dans les médias sociaux. L’un des concepts qui est devenu plus populaire aujourd’hui est la compréhension de la théorie de l’attachement, qui est essentiellement votre style d’attachement avec les personnes qui vous ont élevé.e, et cela peut affecter votre comportement dans les relations amoureuses. Il existe de nombreuses données scientifiques à ce sujet, mais elles étaient publiées dans des revues auxquelles seul.e.s les universitaires avaient accès. Aujourd’hui, il est beaucoup plus courant pour les gens d’en avoir conscience. C’est donc un point positif. L’aspect négatif, c’est la comparaison constante. Vous comparez votre vie réelle à celle de quelqu’un qui l’a créée. Les gens affichent des images de couples ou de familles en pyjamas assortis, tout le monde sourit. Cela peut causer des attentes irréalistes, comme si tout le monde était heureux.euse sauf moi. Alors je dis souvent à mes client.e.s, quand vous êtes sur les médias sociaux, quand vous en sortez, vérifiez comment vous vous sentez. Vous sentez-vous bien et comblé.e? Vous sentez-vous inquiet.e? Avez-vous honte de votre corps? Regardez combien de temps vous passez sur ces médias, mais aussi qui vous suivez, car cela façonne votre journée et votre état d’esprit.
- [Narratrice] Et une dernière chose que je dois vous dire à propos de cette femme, elle était enceinte. Enceinte, enceinte, enceinte. Elle était enceinte de diplômes universitaires qu’elle n’avait pas obtenus. Elle était enceinte d’entreprises qu’elle n’avait pas démarrées, elle était enceinte d’enfants qui n’étaient pas encore nés. Elle était enceinte de chansons qui n’avaient pas encore été écrites et de mouvements qu’elle n’avait pas encore dansés. L’année dernière, il y a peut-être eu quelques mort-né.e.s, quelques avortements et quelques fausses couches, mais aujourd’hui est un nouveau jour. Hier, il y a peut-être eu quelques avortements et quelques fausses couches, mais aujourd’hui, elle est enceinte.
- [Aja Monet] C’est vraiment puissant de t’entendre prêcher, et j’ai hâte de te voir un jour prêcher en direct. Cet extrait spécifique était vraiment frappant et significatif pour moi parce que nous sommes dans une période où les idées sur le genre et l’identité de genre changent. Nous sommes davantage conscient.e.s de nos capacités et de nos limites corporelles. D’un point de vue internationaliste, que penses-tu de l’urgence de notre solidarité internationale, entre femmes, et comment vois-tu la solidarité autour de nos corps et de nos visions pour nos corps, nos visions de ce qui est possible? Quelles sont les choses qui t’enthousiastent ou quel est le travail urgent que tu vois au niveau international et qui pourrait être passionnant à découvrir, qui pourrait peut-être changer et remettre en question la façon dont nous nous voyons les un.e.s les autres, dont nous nous présentons les un.e.s aux autres, dont nous nous présentons en tant que femmes dans le monde? Je pense que c’est une période de définition des normes. Alors oui, je voulais te demander quelles sont les choses urgentes que tu constates se faire?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Je suis vraiment émue par les voix des femmes qui se manifestent de manière interdisciplinaire. Sans toutes nos différentes disciplines, la croissance des femmes en politique, dans l’action communautaire, dans l’art, dans le cinéma et dans la science. Il s’agit donc de sortir des sentiers battus. Il n’y a pas de boîte pour agir avec audace et ce que j’apprécie également, c’est la montée intergénérationnelle de la voix des femmes à l’échelle mondiale. Et donc, des aînées à l’âge moyen aux jeunes femmes avec enfants en passant par celles qui sont non binaires n’ont plus rien à perdre. Nous n’avons plus rien à perdre. Quand on a tant perdu, cette urgence, ce feu pur et cet engagement à reconnaître ce moment d’éveil sont très porteurs d’espoir. Et cela apporte également l’esprit, qui est finalement indéniable.
- [Aja Monet] Oui, merci Parce que ça me rappelle cette phrase d’Assata Shakur que nous chantons dans nos mouvements, c’est notre devoir de nous battre pour la liberté et c’est notre devoir de gagner.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Exactement.
- [Aja Monet] Nous devons nous aimer et nous soutenir mutuellement. Nous n’avons rien à perdre.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Rien à perdre.
- [Aja Monet] Merci. Tout ça me parle, et je suis si reconnaissante pour ce petit segment que nous avons partagé parce que c’est inspirant d’entendre une femme noire prêcher. J’ai eu des frissons. Ça fait dresser les poils de mes bras. J’ai vraiment hâte de te voir prêcher un jour en direct. La dernière question que j’ai pour toi est une question que nous posons à tou.te.s nos invité.e.s, et je voulais juste voir quels sons te font sentir entière? Quels sons te viennent à l’esprit lorsque tu penses au bien-être, à la guérison, à la liberté?
- [Dre Thema Bryant-Davis] Lorsque j’ai commencé la poésie orale, je m’appelais La lionne, et donc, dans la continuité, je vais dire rugir, car comme vous l’avez entendu dans la prédication, il s’agit de ne pas se retenir. Si souvent, surtout en tant que femmes, on nous dit d’adoucir notre voix, de parler moins fort de parler avec une voix de bébé et plus encore. Il n’y a pas de manière polie de rugir. C’est d’être pleinement présent.e, vivant.e et sans peur.
- [Aja Monet] Je t’aime vraiment et je te suis si reconnaissante. T’entendre parler me donne confiance en moi, oui, en tant que femme qui a une voix profonde et rugissante...
- [Dre Thema Bryant-Davis] J’adore.
- [Aja Monet] T’entendre dire ça me rend joyeuse. Je tiens à te remercier pour ton temps aujourd’hui. J’ai hâte de discuter davantage avec toi et j’espère que nous pourrons bientôt nous rencontrer en personne.
- [Dre Thema Bryant-Davis] Merci pour avoir créé cet espace de guérison. J’adore The Sound Bath.
- [Aja Monet] Merci. Je remercie tou.te.s les auditeur.ice.s d’avoir écouté et je vous encourage à vous joindre à nous lors de notre prochain épisode. Profitez de cette belle méditation sonore.

Balado The Sound Bath