
Abiodun Oyewole est un poète talentueux, un enseignant, ainsi qu’un membre du groupe de musique et de spoken word afro-américain The Last Poets. Il discute avec Aja du pouvoir de la communauté, de la créativité et de l’importance de l’altruisme dans le self-care. Veuillez noter que cet épisode contient une discussion sur la maladie mentale ainsi qu’un contenu sensible et pour adultes avec lequel certaines personnes pourraient avoir des difficultés.

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Transcription
Aja Monet 00:11
Bonjour. Je m’appelle Aja Monet. Je suis poétesse de blues surréaliste et organisatrice, et j’anime The Sound Bath, un balado qui vous est offert par Lush Cosmétiques. Merci beaucoup d’être ici. Ce balado explore la signification du bien-être personnel, social et environnemental dans la société d’aujourd’hui. Ce balado est conçu pour être écouté dans le bain. Je suis ravie de pouvoir parler avec mon parrain, ami et camarade, conseiller spirituel et mentor, de tout ce qui est important et précieux dans ma vie. Il s’appelle Abiodun Oyewole, il est membre des légendaires Last Poets, un groupe de poésie qui a pavé la voie du hip-hop, ainsi que du Black Arts Movement. J’ai passé de nombreuses années assise aux pieds d’Abiodun Oyewole pour écouter ses histoires. C’est l’un des conteurs les plus profonds que je connaisse, ainsi qu’un véritable poète révolutionnaire. Je suis si reconnaissante de pouvoir discuter avec lui aujourd’hui. Je sais que vous allez tou.te.s apprécier cette conversation autant que moi.
Abiodun Oyewole 01:44
Comment vas-tu?
Aja Monet 01:49
Bonjour, tu me manques!
Abiodun Oyewole 01:51
Tu me manques aussi.
Aja Monet 01:53
Oui, tu es assurément un professeur. Je t’en remercie. J’ai toujours aimé le rôle que les contes dans la tradition Noire, mais surtout dans la tradition africaine, ont joué dans notre relation et dans la relation de tant de personnes que vous avez touchées au fil des ans, et vous avez cette journée portes ouvertes que vous organisez chaque fin de semaine. Chaque fois que tu travailles avec de jeunes enfants et que tu te produis devant elleux, tes histoires animent ta poésie et le monde qui t’entoure. Je dirais que les contes font partie de notre pratique du bien-être, de notre tradition. Je voulais te demander quelles histoires ou quels conteur.euse.s ont joué un rôle déterminant dans ta vie et ont contribué à façonner ton amour de la narration?
Abiodun Oyewole 04:56
Ces dernières années, j’ai découvert que ma mère est une formidable conteuse d’histoires. Je pense donc qu’une partie de ma capacité à raconter des histoires doit venir de l’ADN. Ma mère, qui est toujours parmi nous à 95 ans, dit que sa mémoire n’est plus aussi bonne qu’avant. Pourtant, elle pourrait remonter le temps et nous raconter ce qu’elle faisait quand elle était en troisième année. Elle vous donne le début, le milieu et la fin, ainsi que le contexte. C’est une merveilleuse conteuse. Je pense qu’il y a une partie de ce truc dont j’ai hérité génétiquement. Il y a beaucoup de poètes que j’ai considérés comme de grands conteurs. Je pense que Langston Hughes est un conteur engagé; il a écrit de la poésie, mais tous les poèmes ont une histoire composite, car pour capturer réellement l’imagination des gens, il faut que les histoires soient racontées, même si ce n’est que quelques lignes. L’histoire nous donne une sorte d’ouverture sur un monde auquel nous n’aurions normalement pas accès. Je crois que les histoires sont très importantes dans le monde entier. Lorsque j’étais à l’Université Shaw, j’avais des émissions de deux heures sur la station de radio universitaire, et le nom de mes émissions étaient Variations Phase Un, Variations Phase Deux. Comme je ne savais pas ce que j’allais faire, je l’ai simplement appelée Variations. J’ai fait un tas de choses, mais celle que j’ai faite et que j’ai le plus appréciée, c’était lors de la première heure de mon émission. Je lisais des segments de 15 minutes d’un livre, et le premier livre que j’ai lu était Native Son, et je disais : « Si quelqu’un vous demande si vous avez lu un livre, dites-lui que vous l’avez lu, même si on vous l’a lu. », parce que je sais que les gens écouteraient. Je le faisais essentiellement pour les frères incarcérés dans les prisons de la Caroline du Nord, car ils avaient leurs écouteurs, et leur seul lien au monde extérieur était la radio, tant qu’ils avaient leurs écouteurs. Je savais donc qu’ils recevraient le message. Quand je revenais à la prison, les gars disaient toujours : « Je ne peux pas attendre la semaine prochaine. Que se passe-t-il dans le prochain épisode de l’histoire? » Donc la narration est une partie essentielle de nos vies. Je pense que chaque être humain est captivé par les histoires.
Aja Monet 07:32
J’adore entendre ça. Dans le mouvement et à l’époque à laquelle vous avez grandi, il y avait un réel effort concerté avec le Black Arts Movement pour inculquer un certain système de valeurs aux gens. Je pense que c’est toujours nécessaire aujourd’hui et que ce le sera toujours. Qu’avez-vous appris en fréquentant la communauté des poètes et des poétesses Noir.e.s à l’époque de ce mouvement révolutionnaire?
Abiodun Oyewole 08:06
J’ai appris que les Noir.e.s sont eux-mêmes de la poésie. Nous sommes poétiques. Et la poésie ne se limite pas à ce que l’on écrit sur une page. La poésie, c’est notre façon de marcher, notre façon de parler, l’attitude que nous adoptons dans une situation donnée. Nous sommes tellement poétiques que nous ne comprenons même pas la valeur de notre existence poétique. Tout ce que nous faisons a un aspect poétique. J’ai découvert cela quand The Last Poets a commencé. David Nelson, qui est un frère, a eu l’idée de fonder ce groupe. Il avait mis mon nom et celui de Gylan Kain sur les listes pour lire de la poésie. C’était environ un mois après l’assassinat de King. Il a dit : « Nous allons lire des poèmes au parc Mount Morris, le jour de l’anniversaire de Malcolm X. » J’étais très excité, car pour la première fois, parce que j’allais faire quelque chose à Harlem pour la première fois autre que ce que j’avais fait à l’église, mais en même temps, j’étais intimidé parce que j’ai toujours vu les Noir.e.s comme un public difficile à satisfaire. J’avais l’impression qu’essayer de me produire à Harlem, c’était comme essayer de se produire dans une soirée d'amateurs à l’Apollo. Si le public ne vous aime pas, le même homme vient et vous arrache le micro. Je ne savais donc pas comment me préparer à monter sur scène et produire quelque chose d’attrayant, mais en même temps, je voulais désespérément faire partie du mouvement Black Power. Pour moi, iels avaient tué le mouvement des droits civiques en tuant le Dr King, et la poésie m’a sauvé la vie en un sens. Puisque j’étais intimidé de lire de la poésie à Harlem, et que je ne savais pas comment écrire quelque chose d’attrayant, j’ai fait la meilleure chose que j’ai jamais faite, et je le fais encore. Je suis venu à Harlem. Je me suis promené, j’ai écouté, j’ai observé, et des phrases poétiques s’échappaient de la bouche des gens que j’écoutais. L’une de ces phrases était « C’est quoi ton truc, mon frère? » Bien souvent, nos chansons reflètent nos vies. À l’époque, le tube était It's Your Thing Do What You Wanna Do des Isley Brothers. Mais les frères du mouvement disaient
« What's your thing? », thing était comme un pronom révolutionnaire et signifiait votre affiliation au mouvement. Un frère pouvait dire « Je suis membre de la Nation Of Islam, ou je suis un Black Panther, ou je suis dans la RNA. » Chaque personne avait un rôle différent à jouer dans le mouvement. J’ai donc écrit un poème intitulé What Is Your Thing? Brother? C’est un truc de Noir.e.s, diront les femmes et les enfants Noir.e.s. J’ai appris, surtout, que la poésie vient des gens pour lesquels on essaie d’écrire. Nous donnons aux gens ce qu’iels savent déjà, mais nous leur faisons voir les choses d’une autre perspective.
Aja Monet 10:55
Il y a tellement de choses que toi et The Last Poets avez pu inculquer non seulement au mouvement et aux gens, mais aussi aux autres poètes et poétesses. Nous savons que Gil Scott-Heron n’aurait pas pu écrire The Revolution Will Not Be Televised sans avoir entendu votre poème.
Abiodun Oyewole 11:13
Le poème qu’iel a entendu était When the Revolution Comes.
Aja Monet 11:16
Oui.
Gil Scott-Heron 11:18
♪ Quand la révolution viendra♪
♪ Quand la révolution viendra♪
♪ Quand la révolution viendra,♪
♪Certain.e.s d’entre nous la verrons probablement à la télé,
♪en mangeant du poulet♪
♪ Vous serez que c’est une révolution, car il n’y aura pas de
♪ publicités♪
♪ Quand la révolution viendra♪
♪ Quand la révolution viendra♪
Abiodun Oyewole 11:36
J’avais écrit ça, et nous sommes allé.e.s à l’Université de Lincoln, et Gil Scott-Heron était le représentant du corps étudiant. C’est lui qui nous a fait monter sur scène. À la fin du concert, Gil Scott est venu dans la loge, et il a dit, « Je veux créer un groupe comme vous. » J’ai tout de suite dit à Gil, et c’est dans son livre d’ailleurs, « Vas-y, Gil. On veut des Last Poets partout dans le monde. » Nous voulions créer un mouvement entier de poètes qui nous feraient avancer. Nous disions donc que nous étions les derniers poètes, car notre message était celui qui allait enfin tout changer. Gil était vraiment, vraiment mon frère. Les gens venaient parfois me voir et me disaient des choses comme « Ouais mon frère, j’adore The Last Poets, la révolution ne doit pas être télévisée. » Je sais qu’ils confondent les deux poèmes. Je répondais oui, je n’avais pas le temps de leur expliquer. Gil m’a dit que les gens venaient le voir et lui disaient « J’adore ton travail, quand la révolution viendra frère. » Et il disait la même chose.
Aja Monet 12:39
Oui, c’est une très belle histoire. Pouvez-vous nous raconter comment les Last Poets ont obtenu leur nom, car je pense que la plupart des gens ne le savent pas. J’étais tellement fascinée de l’apprendre.
Abiodun Oyewole 12:50
La plus grande anthologie réalisée à ce jour, en ce qui me concerne, qui dépeint une période des années 60 et du mouvement Black Power, est une anthologie réalisée par LeRoi Jones, l’autre personne étant Larry Neal, et le nom de l’anthologie est Black Fire. Dans ce livre, il y a un poème appelé Towards a Walk in the Sun écrit par Keorapetse Kgositsile. Personne ne peut dire son prénom correctement, alors on l’appelait affectueusement Little Bully, Little Bully Kgositsile. Il s’appelait donc Little Bully, c’était un petit frère, mais un très grand frère en termes de mentalité, et une belle personne, un bel esprit. Il avait un poème qui parlait des conditions horribles dans lesquelles les frères et sœurs d’Afrique du Sud devaient vivre sous le régime de l’apartheid, car iels devaient se promener avec leur carte d’identité ; s’iels ne la portaient pas, iels étaient mis en prison. C’était un cauchemar permanent pour ces personnes natives d’Afrique du Sud. Vous pouvez constater dans le poème qu’il était très contrarié par la façon dont son peuple était traité et qu’il parlait de la façon dont iels collectaient les taxes de ces gens. C’était un poème très bouleversant. Il a changé la fin du poème en caractères gras. Il dit, « Ce vent que vous entendez est la naissance d’un souvenir. Lorsque le moment éclot dans le ventre du temps, il n’y aura pas de discours sur l’art. Le seul poème que vous entendrez sera le fer de lance pivotant dans la moelle perforée du méchant ; et le fils indigène intemporel dansant comme un fou sur les rythmes retrouvés du désir, s’effaçant dans la mémoire. C’est pourquoi nous sommes les derniers poètes du monde. » Nous avions donc un credo. Ce qui est si beau à ce sujet, c’est que nous avons donné un concert en Afrique du Sud il y a quelques années, peut-être à l’époque où Mandela était avec nous et où Kgositsile avait obtenu un poste de ministre de la Culture, donc il avait une position dans l’administration de Mandela. Nous nous sommes produits à l’Université de Johannesburg. L’endroit était bondé, il y avait, je crois, 2000 étudiant.e.s dans le public, c’était magnifique. Quand nous sommes montés sur scène, j’en ai eu les larmes aux yeux, tout le public a chanté le morceau que je viens de mentionner. « Ce vent que vous entendez est la naissance d’un souvenir. » Donc iels savaient que cela avait été l’influence de notre nom, car David avait fait des recherches pour trouver le nom du groupe. Il a donc lu un poème intitulé Strong Men Keep On Coming de Sterling Brown. Il a lu un poème de Margaret Walker, My people, il a lu un certain nombre de poèmes avant de décider que c’était le poème qui allait nous donner notre nom. Puis, après avoir lu ce poème, David lui-même a apporté un poème intitulé The Last Poets, We're Here to Turn Tears Into Spears, que j’ai également trouvé merveilleux. Mais notre nom vient en fait du poème de Kgositsile Towards a Walk in the Sun.
Aja Monet 16:04
C’est une si belle histoire, je suis si heureuse que les gens aient pu l’entendre. Une grande partie de notre histoire en tant que poètes et poétesses Noir.e.s a été perdue et n’a pas été enseignée dans les écoles, etc. C’est donc à nous de nous assurer que nos jeunes apprennent tout cela et que nos communautés sachent qu’au moment où les programmes de maîtrise en arts plastiques étaient créés, des poètes et poétesses Noir.e.s de tout le pays, des auteur.ice.s, des penseur.euse.s et des artistes de théâtre travaillaient en atelier dans des maisons, des sous-sols et des cafés. Il y avait Obasi à Chicago, les Watts Prophets à Los Angeles, Amiri Baraka, et toi, et ce que vous faisiez tou.te.s à New York, il y avait ce mouvement qui se produisait, organisait les gens autour de l’art, de la poésie, ce qui était si intentionnel. Alors que le mouvement est si crucial et essentiel à nos vies en tant que Noir.e.s, l’une des choses qui se perd dans nos espaces de mouvement, c’est le rôle que joue l’art, pas seulement dans le sens de la politisation et de la réflexion, mais l’art nous amène aussi à être des êtres humain.e.s à part entière, à honorer ce que nous traversons ensemble. J’aimerais vous demander quel rôle joue l’art dans l’organisation de notre santé mentale ainsi que dans notre réponse stratégique à la violence d’État et aux problèmes auxquels nous sommes confronté.e.s sur le plan politique?
Abiodun Oyewole 17:32
L’art est la ligne de vie de notre existence. Nous sommes des artistes naturels. Et l’art prend place dans tant d’aspects, dans la façon dont nous cuisinons notre nourriture, les vêtements que nous mettons, les encrages que nous faisons, les poèmes que nous écrivons et la musique que nous faisons. Il ne s’agit pas de faire de nous des militant.e.s, mais plutôt essayer d’améliorer notre mode de vie, notre culture. C’est ce que l’art fait. C’est tout ce que vous dites quand vous participez à l’art. Chaque fois que vous êtes un.e artiste créatif.ive, vous essayez en fait d’avoir une conversation avec Dieu, ou, quel que soit le nom que vous donnez à Dieu. Les gens qui disent qu’iels ne croient pas en Dieu l’imitent en étant un.e artiste créatif.ive, car selon moi, nous faisons partie de la création de Dieu, et notre création n’est rien de moins qu’artistique. Nous reflétons simplement cela dans nos vies de tous les jours. Sans art, nous n’existons pas. C’est comme être dans un désert sans eau. Nous devons vraiment respecter le fait que l’art rend vivant.e, même les choses mortes reviennent à la vie grâce à l’art, car c’est ce que l’art est censé faire. Il est censé faire ressortir l’essence même du meilleur de l’être humain. Vous devez exprimer vos sentiments, et l’art est le moyen de le faire; si vous ne le faites pas, vous aurez un blocage émotionnel, vous exploserez et perdrez le goût de vivre. Votre lumière doit être partagée. L’art est un moyen de partager votre vie et ce que vous pensez être la vie. C’est la meilleure façon de le faire. Il n’est pas nécessaire d’écrire de la poésie. Il n’est pas nécessaire de chanter une chanson ou d’écrire un livre. Il peut s’agir simplement de cuisiner une tarte à la patate douce. Il y a tellement de façons de s’exprimer, et la société dans laquelle nous vivons est tellement obsédée par l’argent. Les gens me demandent comment gagner de l’argent. Quelqu’un est venu ici et a dit, « Combien demandes-tu pour cette peinture? » Je ne peux pas vous la faire payer. Je ne suis pas un peintre. Je fais ça dans un but thérapeutique. Mon ex-femme a pris quelques œuvres d’art en disant : « Je veux mettre ça dans ma maison ». Mon fils Evan, il a pris sept de mes peintures. Il a fait décorer sa maison avec. Je suis stupéfait, et je me sens très honoré parce que je viens juste d’apprendre à faire ça. C’est tout nouveau, mais c’est une expression qui me procure beaucoup de paix et de réconfort. L’art est vital. Sans art, votre cœur s’arrête de battre.
Aja Monet 20:24
Oui, je ne serais pas ici sans l’art. L’art me sauve la vie tous les jours, à cause de l’état du pays et la façon dont nous marchandisons tout.
Abiodun Oyewole 20:43
Oui.
Aja Monet 20:44
Je pense que c’est vraiment malheureux, car les médias sociaux ont un côté positif; les gens s’expriment et essaient de communiquer avec le monde. Et puis il y a des jeunes dont l’art souffre parce qu’iels essaient de produire, de partager et de créer sans cesse du contenu. Selon moi, iels perdent le sens de ce que signifie la création et pourquoi iels le font. Je voulais donc savoir quels conseils vous donneriez aux jeunes artistes en devenir pour qu’iels conservent l’intégrité de la création artistique et leur dignité dans leur façon de faire de l’art?
Abiodun Oyewole 21:21
Tout ce que nous faisons doit être fait avec intégrité. Prenons le hip-hop comme exemple. Le hip-hop devrait nous donner la possibilité de faire passer des messages. Mais on ne dit rien. Nous perdons notre temps à dire des bêtises, à parler de choses insignifiantes et d’argent. On peut être funky en partageant des valeurs, mais nous devons apprendre la patience et la détermination, nous devons apprendre à persévérer, à faire attention, à nous concentrer, à nous focaliser. Il y a tellement de choses qui peuvent être enseignées à travers notre forme d’art. Nous sommes des génies créatifs, nous avons pris des instruments européens et créés tout un genre de musique appelée jazz. Je sais que Mozart, Beethoven et tous ces compositeurs se retournent dans leurs tombes en entendant ce que John Coltrane et les autres ont fait avec des airs classiques qu’ils considéraient comme de grandes pièces symphoniques. L’art est une arme majeure dans nos vies et notre bien-être. Il devrait être utilisé, il ne devrait pas être mis à la poubelle. Beaucoup de gens qui travaillent avec des jeunes viennent me voir. Par exemple, il y a un jeune homme à Philadelphie qui voulait faire quelque chose pour célébrer ses ancêtres. J’ai tout de suite dit « Là tu parles. » Si vous rendez hommage à vos ancêtres, vous rendez hommage à vous-même, et vous promouvez des valeurs essentielles. Ces valeurs, on n’en parle pas. Alors il a dit : « Je voudrais que vous écriviez un poème traitant de cela pour aller de pair avec ce que j’ai dit. », alors j’ai écrit un poème. Il est venu chez moi et l’a filmé. Il travaille sur une vidéo en ce moment, mais il y a tellement de choses qui pourraient être faites. C’est un moment où nous devons vraiment reconnaître que l’amour n’est pas seulement un mot, c’est une action. Nous devons le montrer de toutes les manières possibles. La dépression vous tuera plus vite qu’un virus. Lorsqu’une personne que nous connaissons peu ou beaucoup est déprimée et malheureuse, nous devons lui tendre la main. Lorsque nous sommes malheureux.euse, nous devons aller vers les autres pour guérir. Penser à quelqu’un d’autre aide à soulager la tension. Lorsque nous sommes déprimé.e.s, nous sommes prisonnier.ère.s de nous-mêmes, et vous ne pouvez voir personne d’autre. Votre vision est trouble. Tout tourne autour de vous et de votre douleur, alors que le monde entier souffre. Et nous avons besoin d’aller vers les autres. Nous avons toujours été un peuple sociable qui prenait soin les un.e.s des autres. Malheureusement, on ne nous a pas vu.e.s comme ça à la télévision et dans les films. On nous montre toujours en train de nous détruire de nous poignarder dans le dos. Alors que ce n’est pas notre cas. Si ce l’était, nous ne serions pas ici. Nous nous sommes entraidé.e.s de multiples façons. Lorsque Sadie, notre sœur malade, fait une tarte à la patate douce, elle descend du 12e étage pour en apporter à une personne qui habite au 10e, juste pour qu’elle puisse l’essayer. C’est exactement ce que nous devons faire. Partager cette tarte à la patate douce. Partager ces bonnes choses les un.e.s avec les autres. Prendre soin les un.e.s des autres. Ce n’est pas difficile. C’était difficile. Mais beaucoup d’entre nous rentrent dans leur petite coquille et essaient d’éviter d’être connecté.e.s alors que c’est vraiment contre notre nature. Ce n’est pas la façon humaine d’être. Le hip-hop peut donner le ton pour que nous puissions partager et aimer sans être ringard.e.s. Je sais que tout le monde veut être cool et funky. Vous pouvez avoir toutes ces valeurs et être cool et funky, mais nous devons partager des valeurs qui seront saines, qui nous aideront à nous apprécier les un.e.s les autres et à nous apprécier nous-mêmes davantage. C’est une très grande chose. Nous devons reconnaître que nous sommes assis.e.s au sommet du monde avec notre génie créatif et que nous devons l’utiliser à bon escient afin que le monde ne périsse pas.
Aja Monet 22:20
Oui. Quelles sont les leçons qui vous ont été transmises et qui, selon vous, devraient être transmises à nos enfants ou à celleux qui viendront après nous, en matière de soins et de bien-être? Quelle sont certaines des choses que vous avez peut-être vues au sein de la communauté et que même si nous n’avions pas d’argent, nous veillions toujours les un.e.s sur les autres, nous trouvions toujours des moyens de prendre soin les un.e.s des autres, et que vous aimeriez transmettre à la prochaine génération?
Abiodun Oyewole 26:27
Tout d’abord, j’ai été élevé par des parents qui croyaient qu’il fallait prendre soin de soi, qui cultivaient leur propre chou-fleur, leur maïs, leurs tomates et leurs poivrons. Donc si on voulait manger des légumes frais, il suffisait d’aller dans la cour du jardin et de les cueillir, et on ne peut pas faire mieux que ça. C’est vraiment la vie. Je mange des légumes frais que nous cultivons. Et c’est important. Nous ne cultivons rien, nous attendons avec impatience d’aller au magasin et d’acheter des produits qui, Dieu sait depuis combien de temps, sont là. Nous devons revenir à la manière naturelle de faire les choses. Nous devons retourner à la terre. C’est très important. Il y a toutes sortes de virus qui circulent, du VIH à la Covid. Il y a beaucoup de virus. Parfois, on peut être malade sans même s’en rendre compte. Vous pouvez voir un changement dans vos actions, dans votre corps, et ne pas reconnaître d’où ça vient. Il y a des choses que nous faisons, et nous ne prenons pas toujours soin de nous-mêmes. Par exemple, j’aime fumer de l’herbe, mais je ne me réveille pas le matin en fumant un joint. Il y a un temps et un lieu pour chaque chose, et nous devons le reconnaître. La discipline est toujours nécessaire. Nous devons faire preuve de discipline. Beaucoup de gens désapprouvent cela, iels ont une vieille image de la discipline. La discipline vous garde dans le droit chemin, vous contrôle et vous permet d’apprécier le meilleur de la vie de manière merveilleuse. Si vous mangez trop de friandises, vous allez finir avec un diabète de type II. Nous devons apprendre à prendre du recul et à reconnaître que nous voulons être sur cette Terre, que notre corps a de la valeur et qu’il faut en prendre soin comme si c’était quelque chose d’important. Nous ne devons pas saccager notre corps, et tout comme ce que nous avons dit à propos de la bouche est très important. Nous devons peser nos mots avant de dire des choses qui pourraient blesser d’autres personnes et nous-mêmes. Il s’agit donc d’une certaine forme de conscience qui va au-delà des domaines politiques, et qui consiste à reconnaître que nous sommes Noir.e.s et d’en être fier.ères. Nous sommes des êtres humains, signifiant que nous devons respecter ce que mère Nature nous a donné. Nous devons respecter les arbres, les fleurs et tous les autres êtres vivants qui nous entourent. Reconnaissons notre humanité avant toute chose, les Noir.e.s et les Blanc.he.s, les gais et les hétéros, toutes ces choses sont en fait des étiquettes. Il n’y a qu’une seule race ici. C’est la race humaine. Nous allons promouvoir notre humanité, et cette humanité exige une certaine discipline. Il faut de l’amour. Elle exige un certain partage. Ce sont les valeurs que nous devons promouvoir dans nos raps, dans nos chansons. Je me souviens qu’à l’époque où je grandissais, il n’y avait rien de tel qu’une bonne chanson d’amour. Smokey Robinson a rendu le Motown spécial, car il a écrit des chansons phénoménales, des chansons d’amour. Nous avons besoin d’entendre plus de chansons d’amour. Nous devons savoir que cela fait partie de qui nous sommes. Nous sommes des amoureux.euses. Nous ne sommes pas des tueur.euse.s. Nous ne sommes pas des meurtrier.ère.s. Nous sommes des personnes qui se soucient des autres, et nous avons une capacité phénoménale à aimer, nous aimons même nos ennemi.e.s et les gens croient que cela est inacceptable. L’amour peut être une arme puissante, et vous ne pouvez pas vaincre l’amour. Mon conseil à tous mes jeunes artistes, à mes jeunes rappeur.euse.s et au reste du monde, c’est d’apprendre à s’aimer et à partager cet amour avec les autres.
Aja Monet 30:01
Merci. C’est vraiment bien. Pour terminer quels sont les sons qui vous font vibrer, vous apportent la paix d’esprit ou un sentiment de calme, vous font vous sentir bien, entier et en paix?
Abiodun Oyewole 30:25
Le jazz. « Speak Like a Child », « Maiden Voyage » de Herbie Hancock. Donnez-moi du jazz, cette musique est faite pour vous faire réfléchir. J’ai dit aux directeur.ice.s des écoles où j’ai travaillé que s’iels diffusaient du jazz dans le couloir pendant que les enfants changent de classe, qu’iels sont aux toilettes ou qu’iels déjeunent, leur attitude changerait après un moment. C’est ce que font les sons. Le son est vital pour notre existence. J’aime le jazz, et j’ai dit « jazzy » au départ, parce que cela englobe tous ces instruments européens, comme le saxophone et la clarinette. Toutes les personnes qui les ont créés n’avaient aucune idée que ces instruments pouvaient produire ce son, mais leur vision de la vie était limitée, car iels ne se définissaient pas avec leur âme. Lorsque vous vous débarrassez de tous les autres éléments, et que la seule chose qui vous reste est votre âme, vous pouvez créer du jazz, ainsi que d’autres choses qui vous aideront à survivre à l’expérience humaine.
Aja Monet 31:46
Ouais, c’est le cœur de tout. J’y crois et je le défends. Je veux te remercier d’avoir mis des mots sur quelque chose que je ressens si profondément comme un code ou une éthique affirmée. Je t’admire, tu m’inspires, je t’aime. Je suis toujours si reconnaissante de t’avoir eu dans ma vie. Je me sens si chanceuse et choyée. Je fais de mon mieux pour essayer de choyer les autres en te partageant avec elleux et en te remerciant simplement. Merci d’avoir choisi ton but et ta vocation et d’avoir enseigné à tant d’entre nous comment être et comment s’aimer si férocement.
Abiodun Oyewole 32:22
Merci. Je veux te remercier, Aja. Parce que tu as été une vraie championne en ce qui me concerne. Je suis juste très heureux que tu aies rassemblé les points afin que nous puissions poursuivre notre apprentissage. Merci pour ta participation à la vie.
Aja Monet 32:41
Je t’aime. C’est grâce à ton soutien que j’ai pu avancer dans la vie.
Abiodun Oyewole 32:47
J’adore ça. Merci beaucoup. On se parle bientôt.
Aja Monet 32:53
Oui, à bientôt.
Abiodun Oyewole 32:55
Peace.
Aja Monet 32:57
Au revoir

Balado The Sound Bath