
« On ne le fait pas pour la reconnaissance. On le fait parce que ça nous apporte de la joie. » — Jason Reynolds
Figurant sur la liste des meilleurs vendeurs du New York Times, Jason Reynolds est l’auteur de plus d’une douzaine de livres, y compris Look Both Ways : A Tale Told in Ten Blocks, All American Boys, Long Way Down, Stamped: Racism, Antiracism and You et Stuntboy. Cet auteur accompli discute avec Aja de l’équilibre entre l’écriture, la famille et sa santé mentale.

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Transcription
Jason Reynolds 00:00
Je pense que je m’identifie d’abord en tant qu’humain, puis je pense qu’il serait irresponsable de ne pas admettre que j’incarne ce qu’il signifie de vivre dans un corps masculin et ensuite en tant que personne Noire.
Aja Monet 00:21
Bonjour, cher.ère.s auditeur.trice.s. Je m’appelle Aja Monet, et je suis poétesse de blues surréaliste, organisatrice, bien vivante et rêveuse amoureuse. Je suis très heureuse d’être votre hôtesse pour cette émission, The Sound Bath, un balado qui vous est offert par Lush Cosmétiques. Ce balado explore la signification du bien-être personnel, social et environnemental dans la société d’aujourd’hui. Il est conçu pour être écouté dans le bain. Prenez place et profitez de la conversation. À la fin, vous aurez droit à une magnifique méditation sonore. L’invité du jour est mon très bon ami, poète et auteur, Jason Reynolds.
Jason Reynolds 01:08
En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que toutes ces choses comptent autant que le fait d’être un fils, un frère et un ami, quelqu’un qui aime profondément.
Aja Monet 01:16
Il est notamment l’auteur des livres pour jeunes adultes Ghost, Long Way Down, All American Boys et Stamped. Jason réfléchit profondément à la façon de communiquer et de nouer des liens avec les enfants. Il est très doué. Une grande partie de son œuvre repose sur la recherche de ce dont les enfants ont besoin pour être aimés et se sentir aimés.
Jason Reynolds 01:39
Et, en outre, il y a moi, en tant que personne qui fait de l’art, qui raconte des histoires et qui essaie de mettre en valeur mes parents, ces enfants, mes enfants. Tu vois ce que je veux dire?
Aja Monet 01:55
Il a aussi beaucoup à dire sur ce que signifie être écrivain et essayer d’équilibrer la joie et la créativité de l’écriture tout en étant un écrivain accompli, c’est-à-dire une personne que les gens regardent, écoutent et prennent comme modèle.
Jason Reynolds 02:10
Mais je suis un gars ordinaire, en fait. J’aime, et j’essaie de rendre service. C’est tout. C’est tout ce qui m’importe.
Aja Monet 02:27
Tant de choses découlent de notre enfance et, pourtant, les enfants semblent être les moins protégés et les moins défendus dans la société, où les médias sociaux sont prédominants. Peux-tu nous dire, en tant que personne qui a captivé les esprits et les cœurs curieux des jeunes enfants et des jeunes adultes, quelles sont les choses que tu as apprises en parlant aux enfants, mais aussi en les écoutant?
Jason Reynolds 02:58
La première chose que j’ai apprise, c’est qu’ils n’ont besoin que de trois choses, et peut-être, d’ailleurs, ce sont de ces mêmes choses dont nous avons tous besoin. Prenons le concept de l’amour pour l’examiner en détail, d’accord? Quels sont les composants de l’amour? Si l’amour était une équation, quel serait le théorème qui crée l’amour? Pour moi, je pense que c’est l’humilité, l’intimité et la gratitude. J’essaie d’évoluer dans le monde, surtout en ce qui concerne les enfants, en naviguant dans un espace d’humilité, d’intimité et de gratitude. À quoi cela ressemble-t-il? Je pense que les jeunes attendent des adultes qu’ils acceptent d’admettre qu’ils ne savent pas tout. Qu’ils leur permettent aussi de prendre la parole pour montrer ce qu’ils savent, échanger des idées, échanger leur expertise, parce que les jeunes sont les experts de leur propre vie, à leur propre rythme. Souvent, nous ne leur accordons pas le crédit qu’ils méritent, parce que nous croyons savoir ce que c’est que d’être jeune. Mais la vérité, c’est que nous ignorons ce que c’est d’être jeune à notre époque. N’est-ce pas? Or, ce n’est pas la même chose. Ils vivent une pandémie, ils grandissent avec la technologie comme un appendice supplémentaire ou presque; c’est une époque très différente de la nôtre. Avec les jeunes, je précise toujours que je n’ai pas toutes les réponses, que je suis ici comme un frère ou un oncle sympathique. Mais, en fait, je suis impatient d’apprendre. Apprenez-moi votre danse TikTok, je suis « branché ». Comme si j’étais branché! Quoi qu’il en soit, nous passons à la prochaine étape : l’intimité. Qu’est-ce que l’intimité pour nous? L’intimité fonctionne de la même manière pour tout le monde, même lorsqu’il s’agit des jeunes. L’intimité exige que les deux personnes, ou toutes les parties concernées, donnent un peu. Je ne peux donc pas m’attendre à ce que vous me disiez qui vous êtes si je ne vous dis pas qui je suis. Pourtant, beaucoup de jeunes n’ont pas d’adultes dans leur vie qui sont prêts à exprimer honnêtement qui ils sont. Ils disent : « Hé, Johnny, dis-moi ce qui ne va pas. » Mais pourquoi Johnny te confierait ce qui ne va pas, s’il ne te connaît pas? Ce n’est pas parce que tu es son enseignant ou un voisin qu’il te connaît assez bien pour te dire ce qui ne va pas, car tu ne lui as jamais rien dit de toi. Rien. Pourquoi supposerait-il que tu peux comprendre? Une fois que vous avez bâti cette intimité, au moyen de n’importe quelle forme de communication, la dernière composante consiste à pratiquer la gratitude. Les jeunes veulent se sentir comme des géants et ils ont raison. C’est à nous d’être reconnaissants pour leurs vies, parce que, sans eux, nos vies n’auraient aucun but, aucun sens. On entend parfois : « Je n’ai pas vraiment d’enfants dans mon entourage », et c’est parfait ainsi. Mais on veut quand même ce qu’il y a de mieux pour eux. Sans eux, rien de ce que vous faites n’aurait d’importance, car il n’y aurait pas de futur pour en hériter. Voilà ma façon d’aborder et de gérer les choses quand il s’agit des jeunes. Maintenant, en ce moment, ce que je pense qu’il se passe avec eux, comment ils se sentent, ils se sentent comme nous, ils sont tristes. Ils se sentent aussi abattus et confus que beaucoup d’entre nous qui essayons de comprendre comment gérer cette période complexe. Mais en plus, la beauté dans la vie des jeunes, c’est que la tristesse n’englobe pas tout. Dans la vie des jeunes, chaque jour est nouveau. Ce train-train quotidien dans lequel tant d’entre nous, adultes, nous glissons sans nous en rendre compte, il ne les empêche pas de découvrir de nouvelles choses et, pour cette raison, les possibilités leur donnent de l’espoir. Si nous restons près d’eux, nous pourrions, juste par la proximité, avoir de l’espoir nous aussi. Je pense qu’ils réfléchissent, imaginent et s’organisent à leur manière; ils apprennent à naviguer dans cette époque. C’est pour cette raison que je parle de TikTok. On a des enfants enfermés dans des maisons pendant deux ans, enfermés à cause d’une pandémie et en quarantaine. Puis on a un.e jeune qui se sent un peu seul.e et qui va sur TikTok, qui fait une danse et, une semaine plus tard, un million de personnes de son âge font la même danse. C’est évident qu’iel se sentira un peu moins seul.e. Il faut en parler. L’utilisation de ce genre de mécanismes technologiques apporte au moins une sorte de communauté, même si ce n’est pas la communauté telle que vous et moi la connaissons.
Aja Monet 07:23
Oui, je pense que si j’associe une intention dans l’utilisation des médias sociaux, je les ai toujours vus comme lorsqu’ils ont commencé, c’est-à-dire comme un moyen de se connecter. Sommes-nous tombés dans un piège? Ce qui devient dangereux et ce que Lush essaie de mettre en lumière, même avec ce balado, c’est la marchandisation des médias. Et le fait que personne ne réfléchit vraiment aux moyens stratégiques de mettre en place des moyens de protection pour nos enfants.
Jason Reynolds 07:54
Tout à fait.
Aja Monet 07:55
Il y a plusieurs années, j’ai fait un stage chez Nickelodeon et nous avions l’habitude de faire ce que l’on appelle des promos créatives à l’antenne. Vous vous souvenez de ce segment de Nickelodeon? Cette anecdote trahit mon âge! Nick Jr. Disait quelque chose du genre : « Nous sommes maintenant de retour à notre émission. » ou « On se retrouve dans quelques instants. » Des lois fédérales exigeaient ce type de transition, parce que les enfants d’un certain âge ne font pas la distinction entre la fantaisie et la réalité. Il fallait donc leur faire comprendre qu’ils quittaient une émission de télévision fantaisiste pour revenir à la réalité. Ce petit mécanisme faisait partie des mesures qui régissaient la relation entre les jeunes et la télévision. Je ne vois pas ce genre de protection dans les médias sociaux.
Jason Reynolds 08:41
Tu as raison, et je tiens à préciser que, j’ai mentionné TikTok comme une sorte de ressource, mais je pense que tu as raison en ce qui concerne les deux versants de la médaille et la pente glissante, dont nous sommes pleinement conscients à ce stade particulier. Tu as tout à fait raison.
Aja Monet 08:55
Je constate que tu utilises les médias sociaux d’une manière intéressante et, au lieu de dire : « fermons-les et ne participons pas », tu as lancé ce jeu incroyable en pleine pandémie et permis aux parents de s’investir eux aussi dans le processus. Peux-tu en dire un peu plus sur la conception de ce jeu pour notre auditoire et nous expliquer ce que tu trouves utile dans le fait de pouvoir participer. Comment as-tu trouvé un équilibre dans la discussion avec les parents et les enfants? Y a-t-il un besoin de prendre du recul ou encore de plaider pour une politique qui pourrait simplement essayer de rendre plus responsables ces sociétés qui contrôlent la façon dont les médias sociaux se manifestent dans nos vies?
Jason Reynolds 09:39
C’est une bonne question. J’ai lancé Brain Yoga; c’est le nom de ce jeu.
Aja Monet 09:45
Oui, c’est ça.
Jason Reynolds 09:46
Je suis ambassadeur national pour la littérature jeunesse, et cela fait partie du système de lauréat. Je suis donc le lauréat de la littérature jeunesse. Mon travail est le même que celui de tous les lauréats : être le « poète de l’Amérique » ou l’écrivain pour enfants de l’Amérique, c’est-à-dire la personne vers laquelle les gens se tournent lorsqu’ils essaient de comprendre où nous en sommes, ou qui agit comme bannière pour cette chose particulière à ce moment particulier. Mon inauguration a eu lieu en janvier 2020, la pandémie a éclaté en mars, et toute ma plateforme a été chamboulée. J’essayais de trouver des moyens de continuer à m’engager auprès des jeunes et à faire mon travail, parce que je le prends au sérieux. Alors, j’ai créé le jeu Brain Yoga. C’est simple, vous montrez deux images et vous donnez 10 secondes aux jeunes pour trouver une nouvelle invention en combinant ces deux articles ménagers ou objets du quotidien. Vous prenez un râteau et un volant, et vous dites : « 10 secondes, pouvez-vous trouver une nouvelle invention? » Un enfant pourrait répondre : « Oh, je prendrais les dents du râteau, et je les attacherais au volant. Puis je l’utiliserais comme un outil spécial pour pêcher des poissons. » Qui sait. Vous laissez courir leur imagination en quelque sorte. Il n’y a pas de mauvaise réponse, vous les laissez juste s’amuser. Ensuite, j’achetais des livres à tout le monde. Je faisais ça tous les vendredis. Les parents se connectaient, les enfants se connectaient, ils venaient sur mon « live », et ils interagissaient avec moi. On s’amusait et c’était un moment agréable. Donc, pour le premier point que tu soulèves en matière de création de protection, je pense que les médias sociaux manquent de contact entre les générations. Par exemple, pourquoi ne faisons-nous pas plus de contenu commun intergénérationnel sur les médias sociaux? Parce que c’était génial. Je clique sur un « live », et c’est une mère, un père, et deux enfants, tout le monde est là, et nous jouons tous à ce jeu ensemble. Je pense de cette façon à propos de tout, d’ailleurs. En ce qui concerne YouTube. Et la littérature. Les gens ont interdit des livres, dans la période difficile que nous traversons, mais il n’y a aucune raison d’interdire un livre si on le lit avec son enfant, n’est-ce pas? S’il y avait plus d’espaces communs pour ces choses, ils serviraient de zone tampon pour ce piège que les médias sociaux sont devenus. Un piège, d’ailleurs, qui nous guette tous, et j’en suis aussi dépendant que les autres. J’essaie de m’en libérer et d’être raisonnable. Alors, si j’ai du mal, imaginez ce que c’est pour un.e jeune de 12 ans.
Aja Monet 12:31
Oui, c’est une transition judicieuse vers les difficultés que nous rencontrons dans l’utilisation des médias sociaux, et en général. Tu excelles en matière de gestion du temps, j’aurais besoin de conseils. Mais sérieusement, ta pratique est admirable. Je voulais te demander quelles sont les exigences ou les pratiques que tu as mises en place autour de ton bien-être afin d’être le meilleur écrivain possible, de livrer ce qu’il y a de mieux dans ton écriture? Quelles sont les choses que tu as intégrées dans ta vie et qui t’ont été utiles?
Jason Reynolds 13:10
J’ai travaillé dur et ce travail, au fil du temps, m’a offert un certain type d’espace et de ressources pour faire certaines choses que je sais faire. Je veux insister sur le fait que je sais que ce n’est pas nécessairement tout le monde qui peut le faire de cette façon. En ce qui me concerne, je fonctionne, je vis avec des habitudes strictes. J’ai lu une citation de W.H. Auden quand j’avais 22 ans, « Discipliner ses passions consiste à discipliner son temps ». C’est ma philosophie depuis très longtemps. Je me lève à six heures tous les matins. Je fais de l’exercice, parce que je crois que tout doit fonctionner; le corps doit être à sa place pour que l’esprit soit à sa place. Puis je fais mes méditations, mes dévotions pour les ancêtres et tout ce dont j’ai besoin pour m’ancrer spirituellement, parce que c’est une partie importante, c’est une partie de ces pistons qui doivent tous fonctionner, alors je fais tout ça. Vers 8 h ou 8 h 30, je m’assois et je commence à travailler jusqu’à environ 13 h, et je ne perds pas de temps. Ne m’appelez pas, je ne vais pas répondre. Tous ceux qui me connaissent le savent. J’ai un téléphone distinct. J’ai un téléphone prioritaire privé, avec un numéro différent, et ce téléphone ne permet pas d’accéder aux médias sociaux ou autres choses du genre. Je peux donc laisser mon iPhone au sous-sol, dans ma chambre ou dans un tiroir et n’utiliser que le téléphone prioritaire privé, dont cinq personnes ont le numéro : ma mère, et mes frères et sœurs. Je peux me concentrer. Je n’écris pas sur un ordinateur portable. Trop de choses se passent sur l’ordinateur portable.
Aja Monet 13:20
C’est un fait.
Jason Reynolds 13:23
J’écris avec un stylo et un bloc-notes. Je m’assois, je fais mon café, je m’y mets et je reste assis. Je fais tout cela, et en plus, il y a une obsession malsaine. Ainsi, je ne veux pas prétendre que la façon dont j’ai pu créer et travailler a toujours été saine. Parce que je ne pense pas que ce soit le cas. En fait, je suis en thérapie tous les lundis. Je suis sérieux avec ça aussi. 11 h, n’est-ce pas? C’est ce dont je parle en thérapie. J’essaie de comprendre comment défaire une partie de tout ça, parce qu’une grande portion est enracinée dans la peur, le manque, et tous ces autres trucs de mon enfance que j’essaie de régler.
Aja Monet 15:36
C’est étrange, non? Parce qu’on est censé avoir une certaine discipline avec la productivité dans une société occidentale quand on s’appelle écrivain, ou poète, ou n’importe quel titre d’ailleurs. D’une certaine manière, pour être pris au sérieux, il faut écrire des livres, il faut livrer la marchandise. Une partie de ma pratique spirituelle, mais aussi de ma pratique en tant qu’écrivaine, a été de savoir ce qu’est la santé. Comment pouvons-nous perturber la notion occidentale de productivité quand il est question d’art? Parce que je me demande si l’art est à son mieux lorsqu’il est associé à sa réussite dans le monde.
Jason Reynolds 16:25
Il y a cette tradition japonaise, tirée de cette ancienne école de pensée, qui dit que nous allons au travail pour accomplir une tâche, mais nous n’accomplissons que la tâche qui se trouve devant nous et nous le faisons avec joie. Nous ne le faisons pas avec une intention d’être génial. Seulement avec l’intention de ressentir la joie du moment. Il se trouve que si je peux trouver cette joie au travail, et si je peux la trouver tous les jours, et agir avec l’intention pure de simplement accomplir ma tâche, de trouver la joie dans ce que je fais, peu importe si ma tâche est banale, minuscule ou fastidieuse, par exemple cuisiner du riz, et si je persévère tous les jours, alors dans 20 ans, je deviendrai génial, sans que mon intention n’ait jamais été de devenir génial. Maintenant, la voie occidentale consiste à devenir génial. Pas pour ressentir la joie ou pour trouver du sens. Pour être génial. J’entends tout le temps des gens discuter d’héritage. C’est toujours la même chose : « Hé, quel sera ton héritage? » J’ai envie de répondre que je ne sais même pas de quel jour on parle. J’essaie de comprendre et j’espère que, au lieu de dire que j’ai apporté une contribution au monde, on dira de moi : « Il était heureux. C’était une bonne personne. C’était un homme joyeux. » Je ne sais pas si je ressens ça en ce moment. Je ne pense pas être prêt à continuer à vivre ma vie en croyant que l’artiste doit être torturé, que nous devons l’être. Je n’en sais plus trop rien, Aja. Ouais. C’est ce à quoi je réfléchis. Je suis content que tu en parles, parce que je me sens un peu moins seul.
Aja Monet 17:56
Oui, ça me rend émotive aussi. Oui.
Jason Reynolds 18:01
Ouais.
Aja Monet 18:03
Ouais. J’apprécie vraiment cette conversation avec toi.
Jason Reynolds 18:09
Bien sûr, c’est toujours agréable de parler avec toi. J’ai l’impression qu’au moins, tu seras toujours honnête avec moi.
Aja Monet 18:19
J’espère que c’est une bonne chose.
Jason Reynolds 18:23
Tout à fait.
Aja Monet 18:25
C’est difficile, tu sais?
Jason Reynolds 18:30
Oui, effectivement.
Aja Monet 18:33
Surtout quand une grande partie de ce que vous créez prend racine dans la profondeur qu’il vous est possible d’atteindre. Selon le fonctionnement de la société, nous sommes censés célébrer le produit final, mais nous n’avons aucune idée du processus que la personne a enduré pour aller dans les couloirs et les endroits du cœur et de l’esprit humain, où la plupart des êtres humains ne se sont jamais aventurés, parce que, premièrement, nous n’avons pas le temps. Deuxièmement, nous sommes constamment distraits. Et puis, nous avons cette obsession étrange, malsaine, que ce soit avec la langue, les images ou le mouvement, quoi que ce soit que, d’une certaine manière, tous les artistes ont et que nous ne pouvons pas expliquer. Ce qui me réconforte en t’écoutant parler, c’est que j’ai vraiment essayé de définir pour moi-même ce que cela signifie de trouver la joie dans la création et aussi d’équilibrer le fait qu’il y a un but et une responsabilité qui viennent avec vos compétences ou vos talents, pour ainsi dire. Je me demande, puisque tu es devenu un « succès aux yeux du public américain », quelles sont les choses que tu as dû établir pour toi-même afin de rester ancré dans tes amitiés et tes relations? Quelles sont tes pratiques de bien-être en ce qui concerne tes relations? Par exemple, tu as un téléphone prioritaire privé, et seulement certaines personnes peuvent te joindre à certains moments.
Aja Monet 20:23
Quels moments crées-tu pour toi-même? Et pour ceux que tu aimes?
Jason Reynolds 20:26
C’est drôle, le dimanche matin, c’est avec ma mère. Elle sait que le dimanche, je suis avec la « créatrice ». C’est non négociable. C’est là que je suis le dimanche matin, de 9 h à 13 h. On se détend, et on ne fait rien d’autre que parler, regarder la télé, rire et plaisanter, et je fais quelques travaux chez elle. Ça représente beaucoup pour moi. Elle a 76 ans. Elle est au crépuscule de sa vie, dans l’hiver de sa vie, pour ainsi dire, et c’est un cadeau de passer ce temps avec elle. C’était la même chose avec mon père, que j’ai perdu il y a quelques années. C’était une bénédiction de passer du temps avec lui. Il y a aussi, et je me sens si chanceux de cela, que j’ai les mêmes ami.e.s depuis l’âge de cinq ou six ans. Iels ont tous les clés de ma maison et de ma voiture. Iels savent que si Jay reste enfermé trop longtemps, on va aller le chercher. Donc, je ne sais pas. J’ai la thérapie. Je vais en thérapie. C’est un privilège. C’est important pour moi. La dernière chose que je vais te dire, un des avantages du succès, même si ça vient avec beaucoup de pression et tout ce dont on parle, c’est que j’ai un abonnement pour les matchs. Je ne vais pas te mentir, c’est le meilleur ajout pour ma santé mentale en 20 ans.
Aja Monet 21:53
Vraiment?
Jason Reynolds 21:55
Je suis tellement sérieux. Ça a l’air si bête. Mais tu le sais, Aja, parce que je sais comment sont nos cerveaux, nous travaillons de manière similaire. C’est vraiment difficile pour nous d’être dans n’importe quel espace, que ce soit un espace de conversation, un espace social, un espace intellectuel, peu importe ce que c’est, sans chercher comment transposer tout ce qui nous touche à travers le prisme de la créativité, en le filtrant à travers quelque chose qui pourrait être écrit, sauf quand je vais au match de basketball. Tout s’éteint. C’est juste moi qui encourage mon équipe. Je ne pense pas à écrire quoi que ce soit. Je ne pense à rien de tout cela. Pendant ces trois heures, deux fois par semaine, ou dès qu’ils ont des matchs à domicile, je fais en sorte que rien ne se mette en travers de mon chemin.
Aja Monet 22:40
C’est la santé mentale, mon frère. N’est-ce pas?
Jason Reynolds 22:42
C’est vrai.
Aja Monet 22:42
Beaucoup de gens regardent ces matchs pour s’évader ou pour surmonter des problèmes.
Jason Reynolds 22:48
Je ne sais pas si j’y aurais cru avant de commencer à aller à tous les matchs, mais maintenant que j’y vais, je suis là, à crier pour les étrangers qui jouent, et j’ai bâti cette communauté autour de moi, mon ami Big Johnson devant moi, mon ami C à ma gauche, tout le monde a son abonnement et on est tous assis ensemble à chaque match. Vous vous rendez compte que vous avez formé cette étrange famille de marginaux de tous âges. Moi, mon ami Sega MS, mon ami John, un blanc. C’est tout simplement bizarre. Nous sommes tous là à crier pour ces gars-là. Et ça me fait me sentir si bien.
Aja Monet 23:21
C’est vraiment puissant et réconfortant de t’écouter parler de ça, surtout en tant qu’homme Noir, parce que ça fait partie de ta pratique de bien-être. Mais, quand je pense aux hommes qui se demandent, hé, c’est quoi le truc avec les hommes et le sport? J’ai l’impression que le sport est l’endroit où il y a une sorte de permission tacite d’être masculin et hypermasculin et intime. Je me demande ce qui en découle, mais...
Jason Reynolds 23:50
Secrètement, nous nous projetons dans les joueurs. Je pense.
Aja Monet 23:54
Ouais.
Jason Reynolds 23:59
Tu vois ce que je veux dire, comme...
Aja Monet 23:59
D’accord, super, je suis contente que tu sois honnête.
Jason Reynolds 23:59
Il n’y a pas un jour qui passe où je ne souhaite pas être Lebron James. Cela étant dit, je pense que dans une certaine mesure, ils établissent un modèle pour nous. Je fais la transposition dans la littérature. Je transpose le sport dans le roman fantastique. On se demande pourquoi on a des romans fantastiques et quel est l’intérêt des dragons et de ceci, de cela et du reste? Tout le monde répondra que, généralement, la personne qui tue le dragon est marginalisée d’une certaine manière. Des jeunes qui se projettent dans les histoires et qui se disent que si je peux tuer un dragon dans ce livre, alors je pourrais peut-être tuer un dragon dans la vraie vie. Je pense que beaucoup d’entre nous voient les athlètes comme des gens qui viennent souvent de communautés marginalisées ou qui ont vécu des expériences marginales. Comme l’histoire de la majorité des athlètes Noirs en particulier, c’est « je viens d’un endroit particulier, et c’est ma façon de tuer le dragon ». C’est ce que j’avais pour tuer les dragons de mon environnement et de ma réalité. Mike Tyson en est un excellent exemple. Venant de Brownsville, c’est tout ce que je sais, je dois tuer le dragon de mon environnement, le dragon de ce qu’ils disent être fait pour moi et mon futur. Je dois tuer le dragon. Alors, qu’est-ce que je vais faire? Tout ce que je peux pour gagner.
Jason Reynolds 25:22
C’est intéressant.
Aja Monet 25:23
Oui, le fait de l’envisager comme une sorte d’histoire que l’on essaie de raconter ou que l’on nous a racontée, comme une sorte de roman fantastique, est très puissant, parce que cela a beaucoup de sens. La plupart des gens peuvent se retrouver dans cette histoire. J’ai deux dernières questions. Premièrement, qu’as-tu appris au cours de conversations réelles avec des gens? Quels sont les avantages d’avoir des conversations essentielles et peut-être certaines des limites avec les mots?
Jason Reynolds 26:07
Ce que je suis en train de creuser, c’est l’idée de la fréquence de résonance. En fait, je pense que la communication a un rapport avec le langage, mais pas de la manière dont on y pense habituellement. La seule chose qui compte est de savoir si c’est résonnant ou dissonant. Quand je pense à la fréquence de résonance, ce terme d’ingénierie est la façon dont les ingénieurs construisent les ponts, fondamentalement. L’ingénieur qui construit un pont se dit : « Hé, on doit s’assurer de prendre en considération la fréquence de résonance du pont, parce que si le vent souffle, et qu’il atteint une sorte de fréquence sonore particulière qu’on ne peut pas entendre, cette fréquence pourrait résonner et faire tomber le pont. » C’est le même concept qui fait que la chanteuse d’opéra fait craquer le verre quand elle atteint la note la plus aiguë. Le principe de base est que si vous faites raisonner une coupe en la frappant du bout de l’ongle, quel que soit ce ton, si vous faites correspondre votre voix avec ce ton et que vous le maintenez, le verre se fissurera parce que vous imitez la matière (quelle qu’elle soit) qui compose la coupe. Maintenant, si je pense à tout ça, et que je pense aux êtres humains, je n’ai pas besoin d’imiter le fait d’être un être humain, parce que j’en suis un. Ce qui veut dire que si je peux puiser dans ce que je suis, dans mon honnêteté, alors je dis que si je te parle, je sais que tu vas être honnête. Si je peux être honnête et puiser dans ce que je suis réellement, et l’exprimer et le maintenir, peu importe à qui je parle, parce qu’ils sont humains aussi, et que nous sommes faits des mêmes choses, la coupe se fissurera. Pas vrai? J’utilise ce procédé avec les jeunes. Je l’utilise avec les créateurs. Je l’utilise avec les gens qui me détestent. Je l’utilise avec les gens qui m’aiment. En fin de compte, l’honnêteté en toi s’attachera toujours à l’honnêteté en moi, même si c’est inconfortable. Comme si être honnête avec moi était simplement une chose humaine. Comme quand nous avons eu ce moment d’émotion il y a quelques minutes, c’était la fréquence de résonance. C’est ce à quoi je pense ces jours-ci plus que tout en matière de conversation. Est-ce que je me montre tel que je suis? Est-ce que je me montre tellement moi-même que la personne à qui je parle doit être elle-même? C’est tout.
Aja Monet 26:19
Merci. La dernière question que j’ai pour toi, et je l’ai posée à tout le monde en terminant : en parlant de fréquence et de résonance, quels sont les sons qui t’apportent le plus de calme ou de tranquillité d’esprit?
Jason Reynolds 28:06
Des enfants ou des personnes âgées, ou les deux, qui rient. Voilà. Ça marche à tous les coups.
Aja Monet 28:10
Excellent. Oui. Merci, Jason.
Jason Reynolds 28:11
C’est toujours un plaisir de discuter avec toi, Aja.
Aja Monet 29:00
L’une des choses que j’ai le plus aimées de Jason, c’est ce qu’il a dit sur les enfants. C’est merveilleux de voir son engagement envers les jeunes dans le rôle qu’il joue en tant que lauréat des enfants des États-Unis. C’est vraiment génial d’entendre sa joie et le besoin d’humilité, d’intimité et de gratitude pour ressentir l’amour, pas seulement pour les enfants, mais pour nous tous. Ce sont des choses que je retiens de cette conversation, parce que je sais que j’en ai besoin et je sais que vous en avez tous besoin. Peut-être pouvons-nous être plus intentionnels dans la façon dont nous nous présentons pour nous-mêmes et pour les enfants qui nous entourent. Jason est authentique, il est vrai. On l’entend dans sa voix. C’est un être humain qui sait comment parler à d’autres êtres humains et les écouter, et je pense qu’il est un très bon exemple de conversation qui m’a purifiée, c’est sûr. J’espère que vous en avez ressenti tout autant.

Balado The Sound Bath