Épisode 10 : Of War and Words

Épisode 10 : Of War and Words

Une discussion sur la guerre et le pouvoir des mots.

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Transcription

00:00:14

Aja Monet : Bonjour, cher public Je m’appelle Aja Monet. Je suis poétesse de blues surréaliste et organisatrice, rêveuse, penseuse, amoureuse, vivante. Je suis ici, présente avec vous en ce moment, et je suis l’animatrice de The Sound Bath, un podcast qui vous est présenté Lush Cosmetiques, où vous entendrez des conversations qui font du bien. Merci beaucoup d’être ici avec moi aujourd’hui. Ce balado explore la signification du bien-être personnel, social et environnemental dans la société d’aujourd’hui. Ce balado est conçu pour être écouté dans le bain. Prenez place et relaxez. À la fin, vous aurez droit à une magnifique méditation sonore. Je suis tellement enthousiaste, parce qu’aujourd’hui, je m’entretiens avec mon cher ami poète et activiste palestinien, Mohammed El-Kurd.



 

J’ai rencontré Mohammed pour la première fois en 2015 alors que je faisais partie d’une délégation composée d’organisateur.ice.s, de militant.e.s et d’artistes noirs de partout au pays aux États-Unis. J’ai rencontré un jeune poète et j’ai pu voir sa maison, sa famille, sa communauté, sa lutte pour la dignité, la justice et la libération de son peuple. Et à ce moment-là, de poétesse à poète, je voulais juste offrir la solidarité du langage et la solidarité du langage tendre, l’amour du langage. Et en cela, j’ai offert à ce jeune garçon mon livre et qui savait? Qui savait ce qui allait en découler? Des années plus tard, je me retrouve à une représentation à New York, et je lis un poème que j’ai écrit sur la première fois que j’ai rencontré Mohammed et ce que j’ai appris sur la Palestine. Le poème s’intitule « The Giving Tree ». Je suis au milieu de « The Giving Tree » et le nom de Mohammed apparaît dans le poème.

 

 

Et je termine la lecture, et voilà que Mohammed arrive sur la scène avec moi. Il était assis parmi le public. Imaginez ma surprise quand je peux faire un câlin à ce jeune homme que j’ai rencontré pour la première fois en Palestine, en territoire occupé, qui est maintenant assis dans le public pendant que je lis un poème sur lui. C’était en fait un moment très magique. Mohammed est devenu un ami très cher. Il dirait que je suis son mentor, mais à bien des égards, j’ai l’impression d’être encadrée par lui tous les jours. Et maintenant, vous savez, sa voix est connue de par le monde. Nous étions là en Palestine pour aider à défendre, à écouter et à amplifier les voix des gens que nous rencontrions, les Palestinien.ne.s qui nous ont accueilli.e.s, dans leur vie et dans leur communauté. Et c’est ainsi, j’en suis honorée. Je suis très fière d’être l’une des très nombreuses personnes qui se sont mobilisées pour permettre au Palestinien.ne.s de pouvoir raconter leurs propres histoires et se faire entendre.

 

C’est un tel honneur pour moi que Mohammed soit ici pour raconter sa propre histoire, pour parler de son propre point de vue dans sa propre voix, pas seulement comme le monde le voit comme un activiste, mais comme un ami, un camarade, un poète et un être humain. Je sais que vous aimerez tous cette conversation. Mon ami, Mohammed El-Kurd, j’aimerais que tu te présentes comme tu choisis de t’identifier ou comme tu te vois dans le monde. S’il te plaît, dis-le à notre public.

 

00:04:09

Mohammed El-Kurd : Bonjour, Aja. Tout d’abord, merci. Tu es absolument une mentore, une influence et une amie. Je m’appelle Mohammed El-Kurd. Je suis écrivain, poète, journaliste, né et élevé dans le territoire palestinien occupé de Jérusalem, vivant actuellement à New York. Je suis le correspondant palestinien du magazine The Nation.

 

00:04:29

Aja Monet : Oui. Ah, eh bien! C’est tellement excitant d’entendre ta voix et, tu sais, une grande partie d’Internet et des médias sociaux est un endroit où, en tant qu’écrivaine, en tant que poète, quelqu’un qui travaille avec les mots et le langage, Twitter et Instagram sont deux plates-formes qui réussissent mal à montrer la profondeur des individus et de leur personnalité. C’est un grand honneur d’entendre ta voix et de partager ta voix. Parce que, comme nous le disons, tu as une voix vraiment sensuelle.

 

00:05:06

Mohammed El-Kurd: Merci. Merci.


00:05:06

Aja Monet : Je veux dire, il y a tellement plus en toi que la façon dont les médias t’ont dépeint. Tu es tellement plus que la façon dont le monde parle de toi, mais aussi de la plupart des Palestiniens. Je te connais d’abord et avant tout en tant que poète. Je te connais comme quelqu’un qui se bat pour la dignité et l’intégrité de ton peuple, ce qui, je pense, est évident pour tout Palestinien, surtout né en territoire occupé. Mais plus profondément que cela, tu es un être humain qui a des passions, des dons, des rêves et du talent. Et je voulais te demander, quand la poésie a-t-elle conquis ton cœur? Quand la poésie est-elle devenue ce que tu sentais être ta vocation, ton don, ton but?


00:05:54

Mohammed El-Kurd : Tu sais, il y a plein de façons de répondre. Et tu sais, il y a un cliché du genre, « J’utilise la poésie pour donner un sens au monde », et dans mon cas c’était vrai, mais aussi il y a beaucoup de cas où je me suis senti comme, « Oh, c’est ce que je veux faire. » Le premier exemple dont je me souvienne est celui de ma mère. Ma mère était une poète, et mon père et elle jouaient à ce jeu parce qu’elle publiait dans le journal local, et ils jouaient à ce jeu dans lequel ils devineraient laquelle de ses lignes serait censurée. Et puis, vous savez, parce que les journaux palestiniens de l’époque étaient contrôlés par le censeur militaire israélien, et ils rapportaient les poèmes et, vous savez, celui qui gagnait recevait un prix ou autre. J’ai toujours trouvé cette activité amusante.

 

J’ai grandi parmi cette poésie et ma mère récitait ses poèmes à mon père et jouait ce jeu. Mais en 2009 ou 2008, je crois que nous avons eu une manifestation et un de mes amis m’a montré la série Def Poetry Jam. Je crois que c’était Suheir Hammad qui lisait First Writing Since. Et je lui ai dit : « Wow! Je veux faire ça. » Et aussi, je m’en voudrais de ne pas mentionner, quand tu m’as offert ton premier livre de poésie quand tu as visité notre maison en mille, en 2000... J’ai presque dit « mille neuf cent quelque ». En 2014. En 2014, et je te l’ai déjà dit, mais j’ai encore ce livre à côté de mon lit. Je l’ai depuis de très, très, très nombreuses années à côté de mon lit. Partout où je me déplaçais, il était toujours sur ma table de chevet. Et ce sont les moments vraiment formatifs où j’ai senti que la poésie signifiait plus que des mots sur une page. Elle avait le pouvoir, et elle avait la capacité de communiquer, de documenter et de traduire, et aussi d’aider à rendre beaucoup de connaissances inaccessibles et d’événements inaccessibles accessibles aux gens, ainsi que la théorie, l’idéologie et la position politique.


00:07:49

Aja Monet : Oui, oui. C’est tellement puissant de t’entendre dire ça parce que je pense à quelqu’un comme Darren Tator. Et quand les gens parlent des poèmes, « Oh, que fait un poème, ou que peut faire un poème dans le monde pour vraiment modifier ou changer les conditions matérielles des gens, n’est-ce pas? » Voici un poète palestinien qui encourage son peuple à résister, qui encourage son peuple à avoir de la dignité, et il devient méchant et diabolisé pour cela. Je pense à Ilya Kaminsky, le poète ukrainien. Il vit États-Unis, mais il vient de publier un article dans le New York Times intitulé Poems in a Time. Il parle d’un de ses amis qui vit à Odessa, et il lui a demandé comment il pourrait se rendre utile. Enfin, un ami plus âgé, un journaliste de longue date, lui a écrit : « Les gens comme Poutine vont et vient. Si tu veux nous aider, envoie-nous des poèmes et des essais. Nous sommes en train de créer un magazine littéraire. » Au milieu de la guerre, il demande des poèmes. Et cela me donne des frissons chaque fois que j’y pense, parce que je me demande, en tant que quelqu’un qui a été, qui a vécu, qui a été élevé et qui est né dans une guerre perpétuelle, ce que la poésie a signifié non seulement pour toi, mais aussi pour la communauté et le peuple de la Palestine. Je pense qu’il y a tellement de poètes incroyables qui existent. Je dirais, je dirais que la façon dont les gens parlent de façon décontractée est de la poésie, tu sais? L’arabe, je ne connais pas tout à fait l’arabe, mais je sais que c’est l’une des langues les plus poétiques au monde, tu sais. Et donc je me demande, en temps de crise, quel rôle la poésie joue pour toi et les gens que tu aimes, tes êtres chers?


00:09:50

Mohammed El-Kurd : Ah, wow! Je veux dire, il y a beaucoup à dire sur la façon dont les Palestinien.ne.s parlent, et sur le fait que la poésie et la poésie arabe ont joué un rôle énorme dans le façonnement de notre culture, de notre histoire, de notre façon de fonctionner dans le monde. Nous sommes des gens qui parlent en comparaisons et en métaphores, et nous utilisons des métaphores pour comprendre notre situation et notre réalité. Je pense constamment à l’un de mes poètes préférés, Rashid Hussein, qui a écrit un poème, un poème sardonique ou sarcastique intitulé God is a Refugee. Il a écrit ce poème dans les années 50 à la suite d’une loi israélienne appelée la loi foncière israélienne, ce qui signifie que 93 % de toute la Palestine historique était maintenant la propriété de l’État par le gouvernement israélien, ce qui signifie que, tou.te.s les Palestinien.ne.s sont des peuples agricoles, nous sommes des agriculteur.ice.s, ce qui signifie que tous les moyens de subsistance de ces Palestinien.ne.s appartenaient désormais à l’État. Ce que ce poète a fait, c’est que dans sa poésie, il a pu démocratiser le jargon juridique. L’inaccessibilité de ce jargon juridique, la bureaucratie, il a pu en quelque sorte contourner tous ces obstacles qui existaient au niveau politique et gouvernemental. Avec son poème très sarcastique, voire très sournois, il a pu traduire aux agriculteur.ice.s palestinien.ne.s ce que cette loi signifiait réellement. Et si tu me permets, je peux lire les deux premières lignes du poème.


00:11:12

Aja Monet : Oui. Je t’en prie.


00:11:12

Mohammed El-Kurd : Il dit, [langue étrangère 00:11:20] Alors il dit, « Dieu est maintenant devenu un réfugié, monsieur. Vous confisquerez même le tapis de la mosquée et vendrez l’église. C’est aussi sa propriété. Et vendrez l’appelant de la prière aux enchères. Même nos orphelins, leur père est absent. Confisquez donc nos orphelins, monsieur. » Et tu sais, c’est un poème impitoyable, mais l’auteur a été capable de traduire cette loi très complexe à ces gens qui autrement n’étaient pas en mesure de comprendre le jargon juridique. Je pense que c’est là que réside le pouvoir de la poésie. Contrairement à auparavant, je ne pense pas que la poésie va transformer l’eau en vin. Je ne crois pas que je vais lire un poème devant le poste de contrôle et qu’il sera ensuite aboli. Mais je pense que la poésie peut être un pas dans cette direction.


00:12:20

Aja Monet : Hum, tu sais, la poésie à elle seule ne peut pas changer les conditions matérielles d’une société injuste, mais je mets quiconque au défi de nommer un mouvement de liberté substantiel qui n’a pas de poésie. Je vois la poésie comme une tactique dans la stratégie pour la liberté, mais tout comme la rhétorique, elle ne devrait jamais être notre objectif final. Vois-tu d’une façon ou d’une autre le processus d’écriture d’un poème comme une occasion d’organisation pour les communautés?


00:12:46

Mohammed El-Kurd : Absolument. Absolument. Je crois en toute écriture, certainement en poésie, il y a cette capacité de transformer l’opinion publique, cette capacité de façonner la culture. Et une fois que tu as façonné l’opinion publique et transformé la culture, tu es en mesure de mettre en œuvre des politiques qui respectent cette opinion publique. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire, mais c’est certainement faisable. Je sais que mon éducation politique vient des poètes que je lis, autant qu’elle vient des théoricien.ne.s politiques ou des leaders politiques qui ont existé. Mais je crains d’ouvrir une boîte de Pandore parce que je n’aime pas trop en parler, mais avec ta poésie, j’aime tout ce que tu écris.



Mais ce qui a été le plus puissant pour moi, en lisant tes poèmes, ce sont en fait tes poèmes d’amour, pour pouvoir lire des poèmes d’amour qui sont comme politiquement conscients, mais aussi incroyablement tendres. Je me souviens de ta phrase : « Tu rends mon sang gêné. » Je pense à cette phrase tout le temps.


00:13:55

Aja Monet : Merci. Ce que je trouve puissant dans la poésie quand j’écris des poèmes en ce moment, c’est la relation que j’ai avec la poésie étant une grande partie de ma pratique politique, mais aussi une partie de ma pratique personnelle et de mon bien-être en tant qu’être humain, n’est-ce pas? Comme si je ne pouvais pas… Tu sais, que quelqu’un se soucie ou non de ma poésie, je devrais le faire. C’est, tu sais, comme nous en avons parlé, l’une des choses dont nous avons parlé dans l’une des autres discussions était de savoir ce que sont nos obsessions et ce qui sont des obsessions saines et malsaines. Mais je dirais que la poésie, pour moi, est une de mes obsessions. Ce n’est pas parce que je me soucie tellement de la façon dont les gens vont la recevoir, mais je me préoccupe de ce que la langue peut faire, de ce que la langue me fait en travaillant avec elle.


00:14:45

Mohammed El-Kurd : C’est dans ton sang.


00:14:47

Aja Monet : Oui, et comment les mots ont une fréquence, ils ont un son et une énergie, et ils peuvent transmuer ou, vous savez, transmuer de l’énergie ou de la douleur et ainsi de suite, mais aussi ils peuvent être utilisés comme des armes. Et j’ai été… Tu sais, je sais ce que c’est que de voir ses propres mots utilisés contre soi, et je sais ce que c’est que d’utiliser des mots pour exalter et encourager. Mais pour élaborer un peu plus, c’est qu’il y a des moments où je fais quelque chose avec des mots et je suis comme « Wow! » Et ce n’est même pas tellement moi. Ce n’est pas l’ego. Ce n’est pas comme, « Regardez ce que j’ai fait. » C’est plutôt comme, « Comment cela s’est-il passé, d’où cela vient-il? » Vous savez, où est-ce… C’est une sorte de conjuration. C’est cela, quand tu es assis devant une page blanche, tu es assis pour être utilisé, pas tellement pour être convaincant.e ou pour essayer d’amener les gens à, tu sais, à être nécessairement d’accord ou à comprendre ce que tu dis. La poésie a cette qualité sacrée que la personne moyenne, au moins en Amérique, l’Américain moyen n’approche pas la poésie avec un sentiment d’admiration et de sacralité pour comprendre profondément, ou découvrir, ou interpréter même. Parce que je dirais que la poésie est la peinture du monde intérieur, non? Donc, la façon dont nous approchons une peinture et nous sommes ouvert.e.s à l’abstraction de cela, nous sommes ouvert.e.s à ce qui suit : « Eh bien, comment dois-je voir cela, ou comment dois-je interpréter l’intention de l’artiste? » Je ne sais pas si les gens approchent la poésie avec la même humilité et la même grâce et comme, « Laissez-moi être curieux », plutôt que les mots utilisés juste pour un moyen à une fin, si vous voulez. Nous utilisons souvent la langue, du moins aux États-Unis et avec l’anglais, comme une forme transactionnelle de communication, n’est-ce pas? Comment puis-je faire comprendre ce dont j’ai besoin? Et peut-être que si je suis une personne un peu plus éclairée, je serai préoccupée par l’écoute. Donc oui, cela fait partie de la lutte avec la langue. Et puis il y a les moments où les mots nous laissent tomber, n’est-ce pas? Je vis pour les moments où les mots me manquent. Et je me demande ce que cela signifie pour vous en tant qu’écrivain.e, en tant que poète? Quelles sont les autres formes de langage ou de communication qui t’ont pleinement engagé ou captivé par le sens, la profondeur et l’excitation?


00:17:14


Mohammed El-Kurd : Oui, je veux dire, les Palestinien.ne.s en particulier ou les gens, les personnes opprimées en général, nous devons être très attentif.ve.s et prudent.e.s à propos de notre langue parce que la plupart du temps nous sommes accusé.e.s et critiqué.e.s pour nos simples mots et nos simples sentiments. Alors que la violence systémique et les violations systémiques d’autres personnes ne sont pas réprimées, que les violations institutionnelles ne sont pas réprimées, notre langage est constamment jugé.


00:17:42

Aja Monet : Et contrôlé.



00:17:42

Mohammed El-Kurd : Et contrôlé, oui. En fait, comme tu l’as dit, je vis pour les moments où la langue me fait défaut. Et je suis très reconnaissant pour ces moments où j’ai en quelque sorte échappé à ces obstacles et à ces limites que j’ai mises pour moi-même, l’autosurveillance que je m’impose, et j’ai juste exprimé ma rage et ma colère d’une manière qui n’adhère pas à ce genre de contrôle. Et donc oui, dans cet échec linguistique, il y a tellement de raisons d’être reconnaissant. Il y a tellement de raisons d’être reconnaissant parce que c’est humain et nuancé, c’est entièrement complexe et c’est tout à fait naturel. Mais pour ce qui est d’être excité par mes mots, tu sais, tu as dit quelque chose à propos d’écrire quelque chose et d’être impressionné par ça, mais sans dire, « Wow, regarde ce que j’ai écrit », mais je pense absolument que tu devrais penser « Wow, regarde ce que je viens d’écrire. »


Je ne pense pas que tous mes poèmes soient géniaux, mais parfois j’écris une ligne et je me dis, « Wow! C’est super. » Vous savez, je pense que tu devrais être en mesure de t’en réjouir parfois, parce que, tu sais, parce que la plupart des gens ne vont pas voir cette ligne, qui selon toi est incroyable, et en ressentir la puissance. Tu sais, ils ne sont pas...

 

00:18:54

Aja Monet : Mmm, oui. Wow, c’est une vraie vérité.

 

00:18:57

Mohammed El-Kurd : C’est super.


00:18:58

Aja Monet : C’est super, en fait je pense à notre amitié et je pense à quel point je suis honorée de te connaître et de te voir grandir et devenir une voix si importante dans le mouvement pour la liberté et la dignité du peuple palestinien. Et je te vois aussi comme un enfant, tu sais, et comme un frère, et comme un profond, tu sais, co-conspirateur. Et je pense à ta grand-mère, Rifqa, qui est le titre de ton livre de poésie, et ce qu’elle t’a inculqué et quelles sont les valeurs avec lesquelles tu évolues dans le monde.





Et je voulais que tu nous fasses part de certaines des choses que tu as apprises de ta grand-mère au sujet, je dirais, du bien-être et de prendre soin de soi alors que tu te bats pour ta communauté et ton peuple, quelles sont les choses qu’elle t’a inculquées à propos du self-care et du bien-être en tant qu’être humain dans le monde, tu sais? Quelles sont certaines des choses qui te manquent le plus ou que tu as aimées au sujet des expériences intimes quotidiennes avec elle qui t’ont vraiment appris la valeur de la vie et de la dignité humaines et le lien entre nous?


00:20:23

Mohammed El-Kurd : Tout d’abord, à notre public qui aime « Rifqa », je dirai que, sans Aja, ce livre n’aurait jamais été publié. Je ne sais même pas s’il aurait été écrit. Je me souviens d’avoir lu un poème il y a des années et des années, et je me souviens des mots encourageants que tu m’as offerts pour écrire ce livre et quelques années plus tard, mais je me souviens aussi de la lutte incroyable que tu as menée pour que mon livre soit publié. Et pour cela, je te suis à jamais reconnaissant et redevable. En ce qui concerne Rifqa, ma grand-mère, et les leçons qu’elle m’a données, je pense que la plus précieuse était une leçon sur la dignité et le respect de soi, et le fait d’agir toujours en se respectant, n’est-ce pas? Comment puis-je être satisfait de ma personne? Comment puis-je être satisfait de moi-même et dire que je mène une vie qui me satisfait?




Ma grand-mère a certaines valeurs clés, comme être une personne honnête, être une personne forte, ne pas se soucier de l’opinion des autres et toujours dire la vérité et toujours, toujours, agir avec dignité et respect de soi et garder la tête haute, et être complètement décomplexée et sans peur de vivre dans sa propre vérité, indépendamment de ce que n’importe qui dans le monde dit. Et je pense que cela m’a préparé comme rien d’autre aux épreuves et aux tribulations d’aujourd’hui, être aux yeux du public, être constamment réprimandé, ou être constamment acculé, forcé de m’expliquer ou de me défendre. Si ma grand-mère ne m’avait pas montré qu’elle s’en fichait, je n’aurais pas ma personnalité aujourd’hui. Tu sais, ce sont des leçons.



Tu sais, nous parlons de respect de soi et de dignité comme s’il s’agissait de compétences facilement accessibles que l’on pourrait acquérir, mais ce n’est certainement pas le cas, surtout quand on vit dans un système qui, dans mon cas et dans le cas des Palestinien.ne.s en général et des Palestinien.ne.s en général, vous oblige à vous rétrécir et à être plus petit, et vous dit que vous n’avez aucune liberté de mouvement, aucune liberté d’expression, aucune liberté d’opinion, aucune liberté de quoi que ce soit. Ce sont des choses que ma grand-mère a défiées par elle-même à travers ses propres philosophies, en utilisant tous les outils dont elle avait besoin. Et elle est morte la tête haute. Et juste pour revenir au livre, tu sais, je pense que le livre est bien, mais l’avant-propos du livre est comme 10 fois mieux que n’importe quoi d’autre dans le livre et c’est parce qu’Aja l’a écrit, donc.


00:22:58

Aja Monet : Tu es beaucoup trop gentil, et. . .


00:23:00

Mohammed El-Kurd : Non. Ce ne sont que des faits.


00:23:02

Aja Monet : et vu que je suis un Lion, je ne vais pas, tu sais, refuser.

 

00:23:06

Mohammed El-Kurd : Non, non, non, non. C’est juste des faits.


00:23:11

Aja Monet : Tu sais, je pense à ce que j’ai appris en visitant la Palestine, en m’asseyant et en mangeant, et en partageant, et en aimant les Palestinien.ne.s, c’est que les opprimés partout ont un sens de la décence et de la dignité humaines que je n’ai vu d’aucun des plus grands, pays dits…


00:23:31

Mohammed El-Kurd : « Civilisés. »


00:23:32

Aja Monet : des structures et des pouvoirs coloniaux civilisés, vous savez, ou occidentaux. Je pense qu’iels sont malheureusement privé.e.s de leur propre humanité dans le processus d’oppression. Tu sais, et ce que j’ai vu de la part de celleux qui sont opprimé.e.s, c’est le sentiment, comme vous l’as dit, de cette volonté sans réserve de continuer à définir et à répéter ce que signifie réellement vivre. Ce sont toujours les gens qui ont le moins qui donnent le plus, et c’est l’une des choses, peu importe où j’ai voyagé, où j’ai été, ou chez qui je suis allé, c’est fascinant pour moi, n’est-ce pas? Je veux dire, et quand tu dis donner, qu’est-ce que ça signifie vraiment donner? Qu’est-ce que cela signifie de vraiment se présenter et de se tenir dignement avec les gens avec qui tu es solidaire? Je voulais donc te demander ce que signifie la solidarité pour toi et ton bien-être? Je vois la solidarité comme une grande partie de ma pratique de bien-être.


Je ne pense pas pouvoir être sain d’esprit ou bien dans le monde si je ne me trouve pas en camaraderie et en communion avec d’autres personnes qui ont de l’expérience et qui luttent comme je le fais contre les manières du monde, avec les manières de ceux qui oppriment les gens dans le monde. Je comprends la difficulté de résister à cela. Et pour moi, quand je trouve d’autres personnes qui ont encore la tête haute, qui se montrent pleinement, qui sont présentes, qui se défendent et qui se montrent, comme pour moi, c’est une forme de bien-être. Je voulais donc te demander ce que la solidarité a signifié pour toi et ta pratique du bien-être.


00:25:09

Mohammed El-Kurd : La solidarité et le bien-être pour moi, ça veut dire, tu sais, me donner quelques jours de plus pour répondre au courriel. Je pense que cela signifie, tu sais, avoir de la compassion les uns pour les autres et comprendre que nous sommes des êtres humains, surtout en ce qui concerne la construction de mouvements et dans les espaces où les organisateur.ice.s sont et les gens qui essaient d’aller à l’encontre du statu quo ou d’un discours des médias de masse. Nous négligeons souvent de nous rappeler que nous ne bénéficions pas du même soutien institutionnel que les institutions médiatiques. Nous ne bénéficions pas du même soutien institutionnel ou monétaire que ces armées. Et nous avons tendance à être un peu trop durs les uns envers les autres et la solidarité s’est manifestée pour moi en cela. Et je suis complètement et à jamais redevable à tou.te.s mes ami.e.s qui m’ont offert un coup de main à travers, vous savez, cette dernière année, mon monde a en quelque sorte été renversé. Et j’ai eu plus de visibilité et plus d’accès que jamais, mais j’en ai aussi eu beaucoup plus, pour le dire très simplement, des courriels, des milliers de courriels que je n’ai jamais eus. Et voir combien de personnes étaient prêtes à m’aider et à être là pour moi pendant ces moments difficiles a été incroyablement, incroyablement incroyable. Je pense, tu sais, que le concept de bien-être et de self-care a été un peu corrompu au cours des dernières décennies. Ma première rencontre avec les self-care a été de lire Sister Outsider d’Audre Lorde, mais je ne pense pas beaucoup de bien de ce que nous voyons aujourd’hui dans le monde, comme les panneaux d’affichage sur ces produits très coûteux qui vous offriraient ce genre de tranquillité d’esprit. . . ce n’est pas ça le self-care. Et tu sais, je pense que si je devais le définir par moi-même, je dirais que prendre soin de soi et le bien-être, c’est vraiment utiliser les outils à ta disposition et utiliser la communauté à ta disposition pour prendre soin de toi et t’assurer que tu es dans une bonne situation. Tu sais, j’ai grandi en Palestine et notre culture est très, très contre le « Je » Comme (parle une langue étrangère), moi-même, c’est mal vu. Nous avons beaucoup de proverbes sur, comme, tu dis moi-même et je demande pardon à Dieu de dire moi-même, n’est-ce pas? J’ai donc grandi dans ce genre de culture excessivement modeste. Et je me souviens, je prends des avions tout le temps, et quand le pilote dit tu sais, assurez-vous de mettre votre masque en premier avant de le mettre sur votre enfant, et j’ai toujours eu du mal avec ça. Je me suis dit : « Pourquoi? Je veux le mettre sur mon enfant d’abord. » De toute évidence, je n’ai pas d’enfants, mais je veux le mettre sur mon enfant d’abord. Et je pense qu’au cours des derniers mois, je réalise en quelque sorte pourquoi il est vraiment important de mettre ton masque en premier avant d’essayer de le mettre sur les autres.


00:28:01

Aja Monet : Oui, intéressant. Tu as donc changé.


00:28:06

 

Mohammed El-Kurd : Je pense que oui.

 

00:28:06

Aja Monet : Selon toi, qu’est-ce qui est nécessaire pour qu’une société ait pleinement une valeur en matière de self-care? Vois-tu une séparation entre ... Tu sais, pour moi, l’une des conversations que nous poursuivons avec ce balado est que les soins impliquent à la fois le soi et le collectif, dans mon esprit. Et ces mots ont été corrompus au point où nous avons maintenant dû ajouter tous ces additifs, et l’individu, et radical, et toutes ces choses, d’accord, pour souligner quelque chose qui ne serait pas inclus dans le mot soins. Et je voulais te demander, pour toi, qu’est-ce qui est sous-entendu dans le mot « soins »? Quels sont, selon toi, les principes du self-care dans ta vie, dans ta communauté, dans ta société?

 

00:28:57

Mohammed El-Kurd : Tu sais, je pense que tout le monde mérite une bonne routine de soins pour la peau et ainsi de suite. Mais je pense qu’au-dessus de tout cela, il y a cette division des classes, n’est-ce pas? Je pense que prendre soin de soi pour beaucoup de gens signifie un toit au-dessus de leur tête. Cela signifie un repas, trois repas par jour. Cela signifie de l’argent à la banque. Cela signifie l’éducation. Cela signifie la santé. Ce sont les choses qui manquent tellement dans notre société. Aux États-Unis en particulier, toutes les personnes sur le terrain, toutes les personnes dans la rue face à cette crise des sans-abri, c’est là qu’un mouvement pour les soins et le bien-être pourrait être vraiment, vraiment fructueux. Je crois fermement, surtout de plus en plus au cours des derniers mois, que ce que tu dis au sujet du fait que les soins sont tributaires de soi-même, ainsi que de la collectivité.




Mais je m’en voudrais aussi de ne pas mentionner ce gouffre dans lequel l’égocentrisme semble être quelque chose qui n’est offert qu’à une certaine classe de personnes. Comme tu l’as dit, tous ces différents mots et additifs que nous ajoutons, ces additifs, ces ajouts, ils ne sont pas pour les gens ordinaires qui ont ce genre de difficultés financières, ou des difficultés mentales, ou des problèmes de santé. Une société où les soins personnels et le bien-être en général peuvent être la norme est une société où tout le monde est nourri et où tout le monde a un toit.


00:30:36

Aja Monet : Hum, oui. Je suis totalement d’accord. Alléluia. Mohammed, je t’aime et je veux que tu saches que... oui. AH, c’est super. Je t’aime. J’ai une dernière question pour toi et c’est une question que je pose à tout le monde à la fin de chaque conversation. Et ma question est, quel son ou quels sons t’apportent le plus de calme, de tranquillité d’esprit, de sentiment de bien-être dans ta vie?


00:31:08

Mohammed El-Kurd : Sans hésitation, musique pop arabe très intense, forte. Comme le top 40 trash, la musique arabe comme mal vue que les générations plus âgées sont comme, « Oh mon Dieu, je ne peux pas croire que c’est le dernier cri maintenant. » Ça m’apporte vraiment la paix. J’adore ça.


00:31:30

Aja Monet : D’accord. Eh bien, cela semble très bien. Ah, merci, Mo.


00:31:37

Mohammed El-Kurd : Merci beaucoup. Merci beaucoup. Je t’apprécie vraiment. Et je veux juste dire, quand tu m’as invité à faire ce balado, je ne vais pas mentir, j’étais genre, je ne suis pas la meilleure personne pour parler de prendre soin de moi. Mais tu sais, c’est un processus, et je t’apprécie vraiment et je t’aime. Tu seras toujours mon amie, mais tu seras aussi toujours, toujours ma professeure. Merci.


00:31:57

Aja Monet : Oh, je t’aime. Merci. Et oui, nous sommes tous en train de comprendre des choses. Je ne suis pas la meilleure personne non plus. Pendant que j’ai ces conversations, je pense que j’apprends de plus en plus à quoi ressemble la guérison et ce qu’elle peut être et comment compliquer ma propre relation à cela, c’est même avoir ces conversations avec les gens que j’aime. Et heureusement, on m’a encouragé à le faire pour que je puisse avoir ces conversations et réfléchir à la façon dont nous nous soutenons les uns les autres en étant plus intentionnels au sujet du bien-être, pas seulement pour nous-mêmes, mais pour le bien des gens que nous aimons et de la société que nous voulons voir, la société dans laquelle nous voulons rêver, être et exister. J’espère que ces conversations deviendront une sorte d’outil pour toi-même, mais aussi pour ceux qui nous écoutent. Je te suis très reconnaissante. Je t’aime. Merci.

Balado The Sound Bath

Balado The Sound Bath