Épisode bonus : Naomi Klein

Épisode bonus : Naomi Klein

Une militante pour la justice climatique inspirante

Écouter

Transcription

Aja Monet (00:03) :

Bonjour, cher public. Je suis Aja Monet, votre hôtesse et j’espère que vous allez bien. Merci d’écouter The Sound Bath, un balado présenté par Lush Cosmétiques.



Aja Monet (00:12) :

Au début de la saison 1, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec Naomi Klein. Pour les personnes qui ne la connaissent pas encore, Naomi est une autrice, militante sociale et cinéaste connue pour ses idées politiques, son soutien à l’écoféminisme, au mouvement syndical et aux idéologies de gauche en général, mais aussi connue pour ses critiques constructives et bien senties sur l’écofascisme et le capitalisme. Autrice d’ouvrages à succès pertinents, tels que No Logo, La Stratégie du choc, Tout peut changer, Naomi est également professeure et codirectrice du Centre for Climate Justice (le centre pour la justice climatique) à l’Université de la Colombie-Britannique.



Aja Monet (00:49) :

J’ai eu le plaisir de rencontrer Naomi lorsque nous faisions toutes deux partie d’un groupe qui militait en faveur d’un avenir féministe et dont l’objectif visait à élire Bernie Sanders en 2020. C’est une personne passionnée, engagée et remplie de sollicitude. Son travail est suffisamment éloquent et j’ai été très ravie de la recevoir pour qu’elle nous fasse part de certaines de ses réflexions sur l’impact de son travail, sur ce que signifie prendre soin de soi, de sa collectivité et de la planète. Nous avions tour à tour abordé des sujets portant sur l’écoféminisme, les balades en forêt et le pouvoir de l’art sur le développement. Certaines parties de notre conversation n’ont pas été intégrées à l’épisode, c’est pourquoi je suis si heureuse de pouvoir les partager avec vous ici.



Naomi Klein (01:34) :

J’habite dans la ville de Sooke, en Colombie-Britannique au Canada et c’est un réel plaisir d’être invitée à votre balado. J’ai également vécu aux États-Unis. Mais j’ai grandi ici et j’y suis revenue après la résignation de Bernie, à notre grand désespoir, car je voulais davantage me rapprocher de la nature et de ma famille. Mais une onde de choc a bouleversé la ville où je me trouve. L’émotion est encore si vive au sein de la communauté, je dois l’avouer. On a eu l’impression que le ciel nous tombait sur la tête suite à de macabres découvertes faites l’année dernière.



Naomi Klein (02:14) :

Nous sommes au mois de mars et l’évènement remonte au mois de mai dernier, lorsque la nouvelle a été annoncée. Elle concernait Kamloops, une ville située au cœur de la Colombie-Britannique, non loin de chez moi et au sein de laquelle je compte beaucoup d’ami.e.s. Il s’agit du territoire de la Première Nation Secwépemc et de la communauté de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc de Kamloops. En fait, ses représentant.e.s ont annoncé dans un communiqué que l’ancien pensionnat où des enfants autochtones avaient été enrôlé.e.s de force n’était plus digne de porter le nom d’école. Ces nombreux pensionnats qui ont orchestré irrévocablement d’effroyables génocides sont établis aussi bien aux États-Unis que sur l’ensemble du territoire canadien. Le pensionnat de Kamloops est le plus grand de tous. Les représentant.e.s ont confirmé que des ossements de 215 enfants avaient été trouvés sur le terrain de cet ancien pensionnat et cette découverte donnait l’impression que la terre elle-même livrait ses secrets. Après la fermeture de ces anciens pensionnats sinistres, des spécialistes ont utilisé cette technique, le radar pénétrant, et ont repéré plus d’un millier de tombes non marquées sur le site; et à l’heure où je vous parle, les recherches se poursuivent encore.



Naomi Klein (03:34) :

Cette macabre découverte faite au mois de mai a provoqué une onde de choc dans tout le pays. Cela peut sembler anodin, mais nous célébrons la fête du Canada le 1er juillet, c’est la journée de la fête nationale. C’est l’équivalent du 4 juillet et bon nombre de communautés ont décidé de ne pas la célébrer. Même dans celles où j’ai vécu, un cortège s’était formé. Les drapeaux étaient en berne et les gens ne brandissaient pas de drapeaux. Nous avons assisté à une véritable remise en question, une remise en question que je n’avais jamais vue auparavant, une remise en question des fondements de l’État-nation du colonat à tel point qu’on ne souhaitait plus arborer les couleurs du drapeau. Je ne suis pas de celles qui arborent les couleurs du drapeau, et je ne pense non plus que vous l’êtes, mais ce peuple qui ne trouvait aucun inconvénient à arborer ces couleurs s’est senti soudain indigné de le faire et a décidé d’arborer l’orange, qui représente la couleur du mouvement qui milite en faveur de la justice pour les victimes des pensionnats.



Naomi Klein (04:30) :

Je veux simplement attirer l’attention sur le dossier parce que tout le monde a vu le convoi de camions arborant les couleurs du drapeau canadien, ce qui semblait témoigner un retour en force du nationalisme. Je pense donc que nous nous trouvons dans cette sorte d’étrange dialectique entre cette profonde remise en question et un profond malaise. Et je pense qu’il existe beaucoup de parallélismes entre ce qui se passe avec ce qu’on appelle la théorie critique de la race (qui est en fait un enseignement sur l’histoire des États-Unis et sur le rôle prépondérant de l’esclavage) et la réalité du capitalisme racial sans oublier le simple désir de s’accrocher aux mythes et aux contes de fées.



Naomi Klein (05:11) :

Alors oui, vous m’avez demandé où je puisais mon inspiration. Eh bien, je la puise dans la façon dont les communautés autochtones qui m’entourent changent ce chagrin et en font quelque chose, tout en étant en première ligne pour empêcher la construction de nouvelles canalisations. À ce propos, il existe un formidable mouvement appelé les Tiny House Warriors (les guerrières des maisons minuscules) qui représente aussi un mouvement Secwepemc dirigé par des gens comme, disons, la famille Manuel qui a d’ailleurs fait l’objet d’un balado, mais ils étaient... tous ces évènements se déroulaient en même temps; pour revenir sur mes propos,



Naomi Klein (05:47) :

Les Tiny House Warriors désignent un groupe de femmes Secwepemc qui ont survécu à l’histoire meurtrière de cette même école de Kamloops, et qui vivent en marge de la société. Kanahus Manuel n’avait pas envoyé ses enfants à l’école, Elle avait choisi de les déscolariser. Et donc sur la voie de cette canalisation, cet oléoduc précisément, ce groupe a bâti des maisons minuscules à énergie solaire où ses membres vivent depuis quelques années déjà. Iels incarnent en quelque sorte le changement qu’iels souhaitent et ce changement passe par la restitution des terres. Iels revendiquent donc leurs terres ancestrales, bien que le gouvernement du Canada ne reconnaisse pas leurs droits sur ces terres parce qu’elles se trouvent au-delà de la réserve et qu’ils vivent d’une manière complètement différente. En même temps, iels empêchent la construction d’infrastructures qui représente une menace pour notre habitat. Leur combat extraordinaire suscite de l’inspiration, mais aussi de la peine parce que leurs membres sont victimes de criminalisation et de harcèlement constant, pourtant le courage dont iels font preuve force l’admiration.



Naomi Klein (06:52) :

S’il existe un symbole qui représente pour moi une profonde source d’inspiration dans cette partie du monde, c’est bien évidemment le saumon. Je suis fascinée par cette espèce généreuse qui parvient à nourrir à la fois les océans et les forêts. La contrée où je me trouve a cependant été spoliée par la déforestation. Elle ne peut plus être considérée comme forêt ancienne. Car elle ne compte plus que quelques grands arbres âgés. Elle peut être classifiée comme forêt secondaire ou tertiaire. C’est pourquoi, lorsque vous vous baladez en forêt, vous verrez des arbres sénescents encore appelés arbres-mères, ou troncs nourriciers. Ces arbres morts ou qui disposent des souches « mortes » renferment à ce stade de décomposition, des arbres en pleine croissance. L’état de décomposition des arbres âgés ou morts optimise la croissance de ces jeunes arbres leur conférant de remarquables formes. La façon dont les racines d’un jeune arbre poussent autour de la souche d’un grand arbre abattu représente, selon moi, une belle métaphore de possibilités, mais aussi du mystère de la mort, parce que la mort est la source de la vie ici, et ce, dans tous les sens du terme.



Naomi Klein (08:11) :

Je pense que cette situation définit véritablement un contexte pertinent, vous savez. Pour nous interroger sur la façon dont nous répartissons notre temps et sur les choix que nous opérons. Parce que l’expression « bien-être » - je l’utilise très peu, mais je n’insinue pas qu’il ne faille pas prendre soin de soi. Mais je pense que le débat se situe entre l’épuisement et le bien-être et sur comment nous définissons les priorités en termes de relations saines, de bien-être de nos rapports avec les autres, avec nous-mêmes et avec la planète. Je ne pense pas que c’est là un piètre principe directeur, n’est-ce pas? Je reste par ailleurs convaincue qu’au sein des mouvements sociaux, l’épuisement est notoire. Nous épuisons tellement nos ressources sans donner la priorité au bien-être, vous comprenez.



Naomi Klein (09:02) :

Je pense que lorsque nous parlons de la fatigue des visioconférences ou de choses de ce genre, je pense que c’est en partie parce que nous ne sommes pas... comme ces technologies que nous utilisons lesquelles sont facilement épuisables, mais difficilement renouvelables. Car désormais nous travaillons plus dur que jamais, mais ce mode de travail ne nous fait pas le bien que nous procure le travail en présentiel en compagnie des un.e.s et des autres; marquer un temps d’arrêt et profiter de la vie après une réunion, vous voyez ? Nous effectuons du télétravail d’équipe, mais sans nous détendre après une dure journée de travail. Donc, si nous sommes épuisé.e.s, c’est sans doute parce que nous ne donnons pas assez la priorité au « bien-être »



Naomi Klein (09:49) :

C’est là l’une des raisons qui a motivé mon choix à m’installer à Sooke. Je veux dire, ma famille y vit, et c’est une banlieue vraiment isolée. Les inconvénients qu’elle présente font aussi partie de la raison pour laquelle j’aime cet endroit. Le style de vie y est à l’opposé de frictions dans ce monde qui a fétichisé l’absence de friction. C’est difficile de partir d’ici à moins d’y être obligée. Il faudra une raison valable qui motive mon départ d’ici, car j’y suis profondément attachée. Je peux sortir de chez moi et me balader dans la forêt pluviale, dans la forêt pluviale tempérée tout près, pour chercher des girolles, qui sont, soit dit en passant, des plantes médicinales. Le fait d’apprendre à connaître un endroit, d’explorer la complexité d’un petit bout de cette planète, de s’y enraciner et de percer lentement, très lentement quelques-uns de ses petits mystères, Alors oui, c’est toutes ces petites choses qui font de cet endroit un lieu très sacré pour moi.



Naomi Klein (10:57) :

Pour être tout à fait honnête avec vous, Aja, cet endroit a été mon refuge à maintes reprises. C’est ici que j’ai écrit La Stratégie du choc et si je ne m’étais pas rendue à un endroit aussi magnifique je ne pense pas que j’aurais pu me plonger pendant autant d’années dans un tel ... le pire que les êtres humains puissent commettre ce sont ces méthodes de torture. En effet, j’ai recueilli des témoignages auprès des personnes torturées et mené des entrevues auprès des personnes survivantes dans des zones de guerre. Si je ne m’étais pas recueillie dans ce lieu pour cicatriser et pour compenser le poids de cet ultralibéralisme, je ne pense pas que mon ouvrage aurait été empreint d’une quelconque forme de sollicitude et de compassion; il serait réduit à un pamphlet.



Naomi Klein (11:47) :

Parce que je ne pense pas que cet ouvrage dénonce simplement « les pires choses que les humains peuvent commettre. », c’est surtout une tentative de... curieusement, je le perçois comme un livre qui donne de l’espoir, car ce système brutal n’est pas le fruit d’une quelconque fatalité. Ce système est bâti sur des fondements de violence, ce qui devrait être une évidence, mais pas aux yeux de tout le monde. Par conséquent, investie de ce droit de dénoncer le néolibéralisme, mon but est de mettre en évidence les sentiers non empruntés, les sentiers qui ont été jusqu’ici ignorés, vous comprenez. Alors oui, je veux dire, c’est un lieu sacré et je suis tellement, tellement, tellement, tellement reconnaissante d’y vivre.



Aja Monet (12:46) :

Vous avez écouté une partie de ma conversation avec Naomi Klein, militante écologiste et altermondialiste Pour en savoir plus, vous pouvez réécouter notre deuxième épisode de la saison 1 de The Sound Bath.



Aja Monet (12:58) :

Restez à l’écoute pour d’autres suppléments à venir et, bien sûr, nous démarrerons une toute nouvelle saison qui sera diffusée à l’automne 2022. N’oubliez pas de nous suivre sur toutes les plateformes sur lesquelles vous écoutez nos balados, afin de ne pas rater la nouvelle saison dès sa sortie. Je suis Aja Monet et je vous remercie très sincèrement de nous avoir écouté.e.s.

Balado The Sound Bath

Balado The Sound Bath